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    Les nouveaux visages d’une aliénation féminine

    Mona Chollet

    Éditions la Découverte

    2012

    « Sois très mince, mais pas anorexique ; habille-toi comme tu veux, mais suis les tendances ; maquille-toi un max, mais façon nude pour que ça fasse naturel ! » Ces injonctions contradictoires et culpabilisantes du culte de la beauté visent à faire des femmes des potiches dociles et silencieuses, tandis que les hommes s’expriment des sujets graves dans la sphère publique.

    « Les femmes sont encore éduquées pour se conformer au désir d’autrui. »

    Que ce soit les chaînes télévisées, la presse écrite, les produits culturels, les prescripteur·rice·s sur internet et bien sûr la publicité, ces acteurs et actrices se font les complices du culte de la beauté normée et de la perfection. Or, derrière l’étendard de la « femme occidentale libérée », les femmes sont écrasées d’injonctions sociales contradictoires et culpabilisantes : sois très mince, mais pas anorexique ; sois enceinte et mère, mais ne prends pas de poids ; maquille-toi un max, mais façon nude pour que ça fasse naturel ; habille-toi comme tu veux, mais suis les tendances ; mets des décolletés… mais ne t’étonne pas de te faire agresser !

    Les femmes doivent être minces (= chétives et discrètes), jeunes (= influençables et malléables), dociles (= attentives aux désirs des autres).

    Ces injonctions impossibles à tenir d’une société misogyne et aseptisée entraînent fatalement la peur du rejet et la haine de son propre corps, forcément bourré de défauts qu’il faudrait corriger. Le corps, cette machine sans défaut, ne doit pas être trop féminin, trop naturel ou trop animal (cachez ce poil que je ne saurais voir). Cette pression est encore plus forte pour les femmes noires, arabes ou asiatiques dont les rares représentations dans les médias sont nourries de clichés orientalistes, colonialistes et racistes.

    Ces normes impossibles à tenir invoquent une dissociation entre soi et le corps : le corps devient un bien de consommation (Jean Baudrillard) ou une petite entreprise à gérer et perfectionner. Lorsque le corps est ainsi dissocié de l’esprit, il devient plus facile d’accepter la chirurgie esthétique qui altère l’identité au prix de grandes souffrances (« pour être belle, il faut souffrir ») et de dépenses inconsidérées.

    Par cette injonction suprême à plaire aux autres, le « complexe mode-beauté », selon l’expression de Mona Chollet, vise à maintenir les femmes dans une position sociale et intellectuelle subalterne. Avec ce « sois belle et tais-toi » qui s’inscrit en filigrane dans les représentations féminines, c’est la parole et le pouvoir qui nous sont confisqués. À l’image du couple BHL-Dombasle, BHL parle de sujets sérieux dans la sphère publique, tandis que Dombasle l’inoffensive se peint les ongles entre deux opérations de chirurgie esthétique. Les thèmes qualifiés de grands et d’importants ne nous seraient en effet pas accessibles, d’autant plus que les femmes auraient une vision trop enflammée, trop passionnée, trop « hystérique » du monde pour s’exprimer sur la place publique.

    Mon avis

    Faire croire à la femme moderne quelle est libérée sert sournoisement à museler celles qui auraient l’idée de penser le contraire. Les droits des femmes ne sont effectivement pas acquis, et les féministes ne sont pas des rabat-joie vociférantes mais des personnes militantes.

    À travers l’étude de la presse féminine (le magasine Elle en tête), les séries publicitaires (Sex and the city, Gossip girl ou encore Mad men), la littérature chick lit, la littérature pour enfants, le monde de la haute couture, Mona Chollet nous livre un essai riche de références multiples à notre univers culturel et social, de citations d’auteur·ice·s qui ont planché sur la question, sans se départir d’une dose d’humour et de cynisme.

    Mona Chollet, publiée par les éditions La Découverte, participe à la déconstruction des normes totalitaires, et encourage chacune à occuper la place publique, mais en le faisant avec notre vision du monde : « Assumer sa propre sensibilité, sa propre manière de voir et de faire, qui peuvent être héritées d’un passé de domination, mais qui, lorsqu’on a le courage de les imposer sur la place publique, au lieu de les ruminer frileusement dans l’entre-soi féminin, se révèle d’une grande valeur pour l’ensemble de la société. »

    J’ai trouvé cet essai passionnant, quoique le deuxième chapitre ait été plus difficile à aborder, et j’aurais encore beaucoup de choses à partager avec vous sur cette lecture instructive !

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    1. Page 211. -2. Pages 68-69.

    Beauté fatale
    Les nouveaux visages d’une aliénation féminine
    Mona Chollet
    Éditions la Découverte
    Collection Zones
    2012
    240 pages
    18 euros

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 11 Juin 2017 à 23:37

    Le culte du maigre, être des porte-manteaux pour la haute-couture.... Une robe est beaucoup plus belle sur une femme épanouie et souriante. Je déteste ces défilés de mode où la jeune femme marche comme un zombie, sans sourire, sans expression. Ces messieurs les hauts couturiers n'ont-ils pas confiance en leur travail pour agir ainsi ?

    Quant aux acquis, je crains qu'ils soient battus en brêche un jour ou l'autre, ils seront grignotés petit à petit pour le bien-être de nos enfants, le boulot des hommes... bref pour nous tenir écartées de la vraie vie.

      • Dimanche 18 Juin 2017 à 12:09

        Tout à fait Zazy ! Ils seront peut-être effectivement grignotés, notamment aussi parce que le féminisme est devenu une démarche personnelle (et consumériste aussi), non plus une lutte sociale et collective comme dans les années 70. Or, les deux sont complémentaires !

        Je t'invite aussi à lire "Chez soi, une odyssée de l'espace domestique" de la même auteure ;)

    2
    Mardi 13 Juin 2017 à 10:50
    Alex-Mot-à-Mots

    Je suis d'accord avec zazy : des libertés grignotées petit à petit.

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