-
Ceci est mon sang ≡ Élise Thiébaut
Ceci est mon sang
Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les fontÉlise Thiébaut
Éditions La Découverte
2017
Serviettes hygiéniques et coupe menstruelle, pilule et stérilet, ménarches et ménopause, endométriose et syndrome prémenstruel… À partir de son expérience personnelle, la journaliste Élise Thiébaut raconte l’histoire des règles, ce phénomène naturel qui reste pourtant tabou dans notre société. Ceci est mon sang est un ouvrage drôle, peu académique, mobilisateur, qui encourage les femmes à libérer leur parole pour rétablir les rapports femmes-hommes.
« Pourquoi chuchotons-nous "règles", alors que nous sommes si prompts à crier "salope", "traînée", et "pute"1 ? »
À partir de son expérience personnelle, la journaliste Élise Thiébaut raconte l’histoire des règles, ce phénomène naturel qui reste pourtant tabou dans notre société. Dès l’Antiquité, les philosophes, les scientifiques, les institutions religieuses ont bâti des croyances, des mythes autour de ces phénomènes physiologiques, qui persistent encore aujourd’hui. Ainsi, les menstruations élimineraient le mauvais sang tous les mois, et le corps de la femme serait sale pendant les règles, notamment parce que l’odeur du sang menstruel est jugé inconvenante. Mais le corps de la femme est aussi perçu comme divin et puissant, car c’est celui qui donne la vie.
« L’anatomie féminine est ainsi parsemée de noms d’hommes qui ont tenu à signer leur découverte, tels des explorateurs plantant leur drapeau sur des terres vierges inexplorées, des graffeurs laissant leur empreinte sur des entrepôts désaffectés ou encore des chiens marquant leur territoire à coups d’urine2. »
Le marché des serviettes hygiéniques et des tampons est très juteux. Mais combien d’entre nous savent qu’il y a dans ces produits des substances chimiques potentiellement cancérigènes et des perturbateurs endocriniens ? Leur présence contribue à déséquilibrer la flore vaginale et entraîne des infections et des mycoses.
Les femmes dépensent beaucoup d’argent pour acheter ces produits, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant des siècles elles avaient des linges réutilisables, et ont même laissé couler naturellement les règles, à l’image inspirante de Kiran Gandhi, qui en 2015 a couru le marathon le premier jour de ses règles sans « protection ». De nos jours, l’accès aux serviettes et aux tampons est loin d’être évident. Ils ne sont pas distribués dans les lieux publics, comme c’est le cas pour les préservatifs, et la TVA réduite, en tant que produit de première nécessité, est une avancée très récente en Europe.
Élise Thiébaut fait un petit tour d’horizon pour présenter les alternatives plus naturelles et durables : les serviettes et tampons bio, comme Organyc et Natracare, les culottes lavables (Dans ma culotte, Plim ; Thinx aux Etats-Unis), l’éponge synthétique menstruelle (Beppy Comfort), et la coupe menstruelle (Diva Cup) qui se trouvent en magasin bio.
« En quarante ans de vie menstruelle, j’ai utilisé d’après les statistiques entre 12000 et 15000 tampons, serviettes et protège-slips. Cela m’a coûté 2500 euros, et cela a entraîné près d’une tonne et demie de déchets qui empoisonnent à l’heure où je vous parle les baleines et les poissons, les nappes phréatiques et peut-être même les oiseaux qui pourtant ne m’ont rien fait. Tout ça pour recueillir mon précieux sang menstruel, dont d’autres statistiques m’assurent qu’il n’a pas excédé le volume de deux à cinq cuillères à soupe, selon les cycles, entre treize et cinquante-trois ans3. »
« Alors en somme, quand vous n’en savez rien, c’est forcément que je suis hystérique4 ? »
Si des sommes astronomiques ont été mises sur la recherche du Viagra, qui soigne une affection due à l’âge, les millions de femmes atteintes du syndrome prémenstruel et de l’endométriose peuvent attendre ! L’endométriose, qui est en effet mal connue, est diagnostiquée très tardivement par le corps médical français, ce qui lui laisse le temps de se propager et d’augmenter les risques d’infertilité.
Les douleurs des femmes liées à leur cycle menstruel, considérées comme maladie imaginaire ou hystérie, sont souvent l’objet de remarques sexistes qui visent à discréditer leurs paroles : « Ben quoi, t’es de mauvais poil, t’aurais pas tes ragnagnas5 ? »
« Personne ne va s’aviser de réunir un dîner de famille pour dire à un jeune adolescent : "Alors, il paraît que tu as éjaculé hier ? Bravo, tu es devenu un homme, et l’heure est venue d’apprendre à laver tes draps toi-même puisque tu as rêvé si fort la nuit dernière6." »
Mon avis
Ceci est mon sang d’Élise Thiébaut s’attaque à un sujet vieux comme le monde et dont la littérature est pourtant très mince, mais heureusement la parole semble se délier. L’histoire des règles m’intéresse beaucoup, même si je n’ai plus de règles avec l’implant contraceptif. Le côté personnel, léger, peu académique mais humoristique, a répondu à mes besoins. Même si j’ai trouvé que l’envie de faire à tout prix des traits d’humour, des culbutes lexicales à la façon des journalistes, a quelque peu parasité la compréhension, cela soulignait aussi l’engagement féministe de l’autrice. Par exemple, les allusions politiques (comme l’implantation agressive du fœtus dans le corps de la mère comparée à la colonisation américaine, israélienne ou française sur les Indien·ne·s, les Palestinien·ne·s ou les Africain·e·s) ne sont pas dénuées de signification.
Le point fort de l’ouvrage, c’est que les règles et le corps de la femme ne sont pas simplement vus comme un fait biologique, mais comme un phénomène sociétal qui s’inscrit dans un rapport femme-homme inégalitaire. Sans se départir de son humour et de son style journalistique, l’autrice souligne à plusieurs reprises le sexisme ordinaire et les positions idéologiques qui imprègnent les discours.
Avoir ses règles ne devrait pas poser problème. Je partage le point de vue de l’autrice qui encourage à partager nos informations et nos expériences, à nous libérer de la honte et de la discrétion inculquées depuis l’enfance. Il s’agit aussi de faire pression sur les fabricants des « protections » hygiéniques pour davantage de transparence et d’éthique, et de faire progresser l’opinion publique pour allouer des financements à la recherche scientifique, car les études sur les cellules présentes dans le sang menstruel ouvrent des perspectives inédites.
Voilà donc un ouvrage rafraîchissant, mobilisateur, et qui fait du bien au mouvement féministe !
Lisez aussi
Essais
Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Éliane Viennot
Moi les hommes, je les déteste Pauline Harmange
Le Deuxième Sexe 1 Simone de Beauvoir
Le Ventre des femmes Françoise Vergès
Masculin/Féminin 1 Françoise Héritier
Beauté fatale Mona Chollet
Une culture du viol à la française Valérie Rey-Robert
Rage against the machisme Mathilde Larrère
Libérées Titiou Lecoq
Les Humilié·es Rozenn Le Carboulec
Non c'est non Irène Zeilinger
Tirons la langue Davy Borde
Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie
Manifeste d'une femme trans Julia Serano
On ne naît pas grosse Gabrielle Deydier
Pas d'enfants, ça se défend ! Nathalie Six (pas de chronique mais c'est un livre super !)
Littérature
Le Chœur des femmes Martin Winckler
Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)
Instinct primaire Pia Petersen
Bandes dessinées
Camel Joe Claire Duplan
Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor
Regardez aussi
L’application Clue, en partenariat avec des universités américaines et anglaises, permet de suivre les caractéristiques de son cycle.
Ceci est mon sang
Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font
Élise Thiébaut
Éditions La Découverte
2017
248 pages
16 euros
Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !
Suivez-moi sur Instagram !
1. Page 94. -2. Page 211. -3. Page 123. -4. Page 200. -5. Page 8. -6. Pages 31-32.
Tags : ceci est mon sang, élise thiébaut, la découverte, menstruation, endométriose, livre féminisme, livre contraception, livre règles
-
Commentaires
Bonjour
Pour information une autre note de lecture sur ce livre chroniqué
Artemis, ourses, « extraordinaire capacité à inventer des histoires », règles et souffrances…
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/01/25/artemis-ourses-extraordinaire-capacite-a-inventer-des-histoires-regles-et-souffrances/
cordialement
didier
Merci pour votre visite! Je découvre votre blog avec plaisir!