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Deux ou trois choses dont je suis sûre ≡ Dorothy Allison
Deux ou trois choses dont je suis sûre
Dorothy Allison
Éditions Cambourakis
2021
Traumavertissement : violences sexuelles et intrafamiliales
J’avais adoré les romans L’Histoire de Bone et Retour à Cayro (200e chronique) de Dorothy Allison. C’est donc en toute logique que j’ai lu Deux ou trois choses dont je suis sûre, un récit autobiographique très court mais particulièrement intense ! L’autrice revient sur son enfance en Caroline du Sud, dans une famille de Blanc·hes pauvres, illustrée de quelques photos. Dorothy Allison brosse le portrait tragique des femmes de sa famille, courageuses et déterminées, usées et abîmées par leurs maris violents et le labeur pour survivre et protéger leurs enfants. Mais ce récit fait aussi la part belle à la (re)construction de soi, à la (ré)appropriation de son corps après avoir vécu des traumatismes.
« On n’était pas belles. On était dures et laides et on essayait d’en être fières. Les pauvres sont quelconques, vertueuses si humbles et travailleuses, mais surtout laides. Presque toujours laides1. »
Dorothy Allison raconte quelques souvenirs de son enfance en Caroline du Sud dans sa famille de Blanc·hes pauvres. Les histoires qu’elle racontait souvent à ses sœurs Wanda et Anne mettaient en scène de grandes sorcières, des guerrières qui s’enfuyaient… Contrairement à sa mère et à ses tantes Dot et Grace, et à toutes les femmes de sa famille qui, de génération en génération, sont détruites, abîmées, enlaidies par la misère, le labeur, les maris violents et misogynes, et pour qui « l’amour n’était qu’un désastre à retardement2 ». Elle brosse le portrait de ces femmes courageuses qui font tout ce qu’elles peuvent pour survivre, nourrir leurs enfants et les protéger, et qui ont en commun le « regard avide et désespéré qui n’avait confiance en rien et voulait tout3 ».
« On était toutes dotées de hanches larges et prédestinées. Avec le visage large, ce qui voulait dire stupide. Des bêtes de somme marquées de leurs mains larges, aux cheveux ternes et aux yeux fatigués, feuilletant des magazines remplis de femmes si différentes de nous qu’elles auraient pu être d’une autre espèce4. »
L'une des tantes de Dorothy Allison
« La tragédie des hommes de ma famille, c’était le silence. Un silence voilé par la vantardise et les blagues5. »
Dorothy Allison parle aussi de ses oncles et cousins, des hommes devenus adultes trop vite, qui veulent être au centre des aventures qu’on raconte et qui finissent en prison. Ces hommes au visage dur, bagarreurs et méchants, ne peuvent exprimer que la colère, et s’enferment peu à peu dans le silence, parce que la société sexiste impose aux petits garçons de refouler toute autre émotion.
« J’ai besoin d’être une femme qui peut parler de viol sans détour, sans hésitation ni malaise, sans être vulnérable à ce que pourrait dire les gens cette année6. »
Dorothy Allison raconte aussi ce que lui faisait son beau-père qui était chauffeur-routier : il l’a violée et battue à coups de ceinture de ses 5 ans à ses 16 ans, lorsqu’elle a eu la force de s’opposer à lui. Pendant très longtemps, ces violences ont été comme un mur à escalader chaque jour de sa vie, jusqu’à ce qu’elle en parle. La colère s’est alors apaisée, elle a pu identifier la douleur tapie au fond d’elle, et, même si cela a mis des années, elle a appris à se connaître, à se construire, à vivre sa sexualité avec des femmes, à dissocier l’amour, le désir et la haine, à prendre le contrôle de sa vie.
« Dans les pires moments de ma vie, je me suis raconté cette histoire, l’histoire d’une fille qui a tenu tête à un monstre. En faisant ça, je construis quelque chose de magique en moi, de la magie à utiliser contre la malfaisance dans le monde7. »
Mon avis
J’avais adoré les romans L’Histoire de Bone et Retour à Cayro (200e chronique). C’est donc en toute logique que j’ai lu Deux ou trois choses dont je suis sûre, un récit très personnel, très court mais qui fait particulièrement écho en moi. Si vous ne connaissez pas encore cette autrice, foncez !
Dans ce texte, la violence jaillit à chaque page : la pauvreté et les nombreuses tragédies, la violence des hommes et la misogynie, la colère dévorante, les silences écrasants qui empoisonnent la famille de génération en génération, la haine de soi, le fatalisme des femmes abîmées, usées, dont le corps est profondément marqué par leur genre et leur classe sociale…
Mais, dans toute cette noirceur, Dorothy Allison apprend à s’aimer, à se réapproprier son corps, à se dépasser (notamment par la pratique du karaté). Et, pour les générations futures, pour sa nièce âgée de 11 ans, Dorothy Allison a l’espoir que les choses changent. Elle veut la protéger d’une vie misérable, elle veut lui donner tout l’amour, l’estime de soi et le respect que tout·e un·e chacun·e mérite.
Alors, pour sa nièce, pour nous, Dorothy Allison fait ce qu’elle sait faire à merveille : elle lui raconte des histoires. Les histoires qu’elle se raconte et qu’elle raconte aux autres l’ont aidée, lui ont permis de survivre, de se protéger, de ne plus seulement être définie comme une victime, mais de devenir maîtresse de sa vie. Car, pour elle, « les histoires sont le seul moyen fiable [qu’elle] connaisse pour toucher le cœur et changer le monde8 ».
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Retour à Cayro (200e chronique)
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Claire Duplan Camel Joe
Deux ou trois choses dont je suis sûre
(Two or Three Things I Know for Sure)
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Noémie Grunewald
Dorothy Allison
Éditions Cambourakis
2021
96 pages
16 euros
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Tags : Dorothy Allison, Cambourakis, féminsime, violences sexuelles, inceste
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Commentaires
2SarahVendredi 5 Mai 2023 à 07:28J'aime ce genre de livre. Ça me fait penser à la vie de certaines jeunes femmes que je connais dans mon village.. je vais l'emprunter et le lire.-
Mardi 9 Mai 2023 à 11:23
Coucouuuu !! Merci pour ta visite ! Je te l'aurais bien prêté mais il vient de la bibliothèque :D
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Tout ce que tu dis de ces femmes me questionne. Elles auraient pu être ma grand-mère, et qui sait.
Salut Alex ! Oh, je suis contente que ça te parle <3