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Essais
Les textes regroupés dans cette rubrique parlent essentiellement des conditions dans lesquelles le livre est édité en France, mais vous y trouverez aussi des essais sur les médias, l’opinion publique, la culture et leurs représentations. Avec l'agriculture et l'alimentation, de nouveaux thèmes environnementaux sont à venir.
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Par Lybertaire le 11 Octobre 2024 à 07:00
31° Nord 35° Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
Un an de génocide à Gaza. Dans cet ouvrage publié en 2020, Khalil Tafakji (né en 1948), cartographe et géographe palestinien, raconte comment, pendant plus de 30 ans, il a documenté la colonisation israélienne et apporté son expertise lors des négociations avec Israël pour tenter d’obtenir un accord de paix et de définir un État palestinien. Un ouvrage éclairant sur les enjeux territoriaux, en particulier sur l’implantation aussi insidieuse qu’implacable des colonies en Cisjordanie, le mur de l’apartheid et la judéisation de Jérusalem.
« Nous observons les processus de la colonisation israélienne depuis 1983. Nous savons où trouver l’information, directement, indirectement, peu importe1. »
À travers une vingtaine de chroniques, Khalil Tafakji parle de son parcours professionnel de géographe vivant à Jérusalem. Lorsqu’il rejoint en 1983 la Société d’études arabes, fondée par Fayçal al-Husseini, sa mission consiste à cartographier les villages détruits par l’armée israélienne, ainsi que les colonies israéliennes et leurs avant-postes implantés en violation du droit international.
Pendant des mois, il a sillonné toute la Cisjordanie avec son équipe (usant parfois de subterfuges pour entrer dans les colonies israéliennes). Le but consistait à reporter les avancées israéliennes sur une carte, car Khalil Tafakji intervenait en tant qu’expert lors des négociations avec Israël.
Par la suite, la Société d’études arabes sera sans cesse dans le collimateur des services secrets israéliens (arrestations, confiscations de tout le matériel et de leurs bureaux), parce qu’elle a pour but de mettre en place les institutions qui pourront un jour fonder un État palestinien.
« Depuis cinquante ans, Israël procède au blanchiment des activités illégales des colons2. »
Avec plus de 500 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en 2019, réparti·es sur 132 colonies et 116 avant-postes, les Territoires palestiniens sont devenus un véritable gruyère. Entre le mur de l’apartheid, les routes de contournement des colonies et les checkpoints, la liberté de circulation des Palestinien·nes est totalement entravée, et leur vie semble tout à fait insupportable, et encore plus depuis un an.
« Il faut à Israël rendre la vie des Palestiniens impossible et celle des Israéliens la plus séduisante possible3. »
Le mur de l’apartheid est un énorme scandale à lui tout seul. Long de 700 km et mesurant jusqu’à 8 mètres de hauteur, fortifié par des barbelés et des miradors, le mur érigé par Israël ne respecte pas la frontière entre Israël et la Cisjordanie, fixée par l’ONU en 1949, mais empiète la Cisjordanie sur plusieurs kilomètres, ce qui crée un no man’s land, une prison à ciel ouvert pour les villages palestiniens pris entre les deux. De fait, plusieurs villages palestiniens se retrouvent coupés en deux, des milliers d’habitant·es sont séparé·es de leur famille, de leur travail, de leurs oliviers, des services publics, tandis que les colons circulent en toute liberté.
« [...] sous aucune latitude l’occupation ne permet de construire un futur de paix4. »
Et, comme Khalil Tafakji habite Jérusalem, il lui consacre plusieurs chroniques très instructives. Au mépris des résolutions de l’ONU et de la convention de Genève, Israël tente d’en faire sa capitale en forçant le départ des quelque 38 % de musulman·es qui habitent encore à Jérusalem-Est, à l’aide de tout un arsenal de lois fallacieuses. La municipalité détruit leurs quartiers, ne leur accorde aucun permis de construire et n’offre aucun service public (ramassage des poubelles, réfection des trottoirs et des espaces publics…).
Mon avis
31° Nord 35° Est est un ouvrage intéressant, car son auteur, géographe de métier, se concentre sur un enjeu stratégique pour la Palestine : la délimitation de son territoire, occupé depuis un siècle. Il montre notamment comment la définition d’une frontière, parfois faite au doigt mouillé, peut avoir des conséquences dramatiques pendant des décennies. L’histoire de la Palestine concentre tout ce qu’il y a de pire dans la colonisation, la frontiérisation des peuples et la propriété privée. Et parce qu’il a eu accès aux plans directeurs des autorités israéliennes de 1967, Khalil Tafakji a pu prouver que leur ambition (en toute illégalité) est d’annexer la Cisjordanie, de la Méditerranée au Jourdain, et de créer des accès rapides vers les grandes villes des pays du Golfe, sans parler de Gaza qui reste une épine dans le pied du géant israélien…
L’ouvrage de Khalil Tafakji est constitué de courts chapitres qui permettent de s’arrêter pour souffler, et de reprendre à petites doses. Sa lecture est dense mais accessible, du moins si l’on a une carte à côté pour mettre en situation ce qu’il raconte, c’est pourquoi je vous recommande vivement de commencer par la lecture de L’Atlas des Palestiniens (chronique à venir).
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31° Nord 35 Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
256 pages
19 euros
1. Page 69. -2. Page 140. -3. Page 217. -4. Page 243.
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Par Lybertaire le 28 Septembre 2024 à 11:18
Dans la tête d’un chat
Jessica Serra
humenSciences
2019
Mon histoire personnelle avec ce livre, c’est que j’ai décidé de le lire parce que mon chat est malade. J’avais besoin d’une lecture rationnelle pour expliquer mon amour et ma douleur infinie, pour apprendre à le connaître plus intimement et profiter au mieux du temps qu’il nous reste ensemble.
« Déifié, toléré, puis détesté, le chat a gagné aujourd’hui le titre de membre de la famille1. »
À notre époque, les chats sont vénérés par leurs humain·es, les vidéos et photos de chats inondent internet, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Difficile aujourd’hui de penser qu’ils ont été torturés, emmurés et tués par millions durant l’Inquisition, et que les femmes qui possédaient des chats étaient accusées de sorcellerie.
Avec 600 millions de chats dans nos foyers à travers le monde, les temps ont changé ! C’est apparemment au cardinal Richelieu (1585-1642), le ministre de Louis XV, que nous devons sa réhabilitation en Europe. Mais ce regain d’amour est à double tranchant, car il a mené à la création des races du XIXe siècle, et à l’objectification du chat.
Cela dit, cet amour est tout relatif, car, malheureusement, la France est championne en matière d’abandons d’animaux domestiques. En 2022, la SPA a recueilli 27 940 chats dans ses refuges… Ne participez pas à la marchandisation des animaux de race, il y a tellement de petits individus malheureux à adopter !
Selon l’autrice, la première cohabitation aurait commencé il y a 10 000 ans, dans le Croissant fertile, en Cisjordanie, avec le peuple des Natoufien·nes qui capturèrent des chats dans leurs maisons. Ils leur rendaient service en chassant les souris qui dévoraient les réserves de nourriture.
Même si les civilisations successives ont davantage dressé les chiens que les chats, ceux-ci n’ont eu d’autre choix que de s’adapter continuellement à nous, à nos conditions de vie, nos exigences, nos critères de sélection. Pour expliquer cette dépendance à l’être humain, le biologiste néerlandais Louis Bolk (1866-1930) a développé le concept de néoténie à partir de l’observation des primates puis des bébés humains. Pour s’adapter à nous, les chats auraient conservé leurs caractéristiques infantiles comme le ronronnement, le miaulement et le patounage. Dans ce processus d’infantilisation, ils seraient une « version infantile du chat sauvage2 », une intuition que j’avais eue en observant mon chat, sans pour autant la nommer.
« [Descartes] a insufflé durant des siècles l’idée d’un animal robot n’obéissant qu’à une série de réflexes innés, incapable de ressentir ou de raisonner3. »
Après ce chapitre sur l’histoire de la domestication des chats, l’éthologue Jessica Serra décrit la manière dont ils perçoivent le monde. Comment s’orientent-ils dans le temps et l’espace ? Saviez-vous que la petite moue de flairage qu’ils font s’appelle en réalité le Flehmen, leur permettant de percevoir précisément les phéromones ? Ressentent-ils de la peur, de la jalousie ? Nous aiment-ils vraiment ?!
Il s’agit de faire la part des choses entre notre tendance à anthropomorphiser les animaux et la vision héritée de Descartes de l’animal-robot dénué d’intelligence et de sentiments, simplement mû par son instinct de survie. Il faut dire aussi que les études comportementales menées sur les chats sont beaucoup moins nombreuses que celles sur les chiens (qui sont beaucoup plus coopérants et obéissants), et surtout que le bien-être des chats n’est pas du tout une priorité pour nos sociétés spécistes, anthropocentrées, racistes, capitalistes, patriarcales et écocidaires.
Mon avis
Mon chat, je lui dois beaucoup, à commencer par le fait qu’il m’a fait devenir végane et antispéciste. Depuis dix ans, il me fascine toujours autant : tout chez lui éveille en moi un amour infini, une fascination éternelle, mais aussi, désormais, l’angoisse de sa mort pourtant inexorable.
Je le chéris tant qu’il est là, nettoyant inlassablement ses diarrhées depuis 9 mois, mais un double deuil me guette : sa perte incommensurable et l’impossible adoption d’un autre petit bonheur, faute de moyens financiers.
Cet ouvrage m’a fait beaucoup de bien, même si j’avais déjà bien cerné mon chat. Il met des mots sur mes observations, il matérialise mon amour pour lui. Cette lecture me prépare (un peu) à accepter l’inéluctable, et je vais la prolonger avec l’ouvrage de Pauline Le Gall, Le petit chat et moi, aux éditions Philippe Rey (chronique à venir).
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Dans la tête d’un chat
Jessica Serra
Éditions J'ai lu
2021
7,90 euros
352 pages
1. Page 267. -2. Page 240. -3. Page 112.
5 commentaires -
Par Lybertaire le 12 Août 2024 à 19:49
La vie secrète des animaux
Peter Wohlleben
Les Arènes
2018
Peter Wohlleben, qui gère une forêt écologique en Allemagne, nous livre quelques faits et études sur le comportement des animaux et des insectes. Éprouvent-ils de la compassion ? Savent-ils mentir ? Un ouvrage instructif, composé de courts chapitres à picorer, comme une invitation à porter un regard antispéciste sur ceux que la société méprise et exploite.
« Nous ne saurons jamais si les animaux ressentent la peur, le chagrin, la joie ou le bonheur de la même manière que nous1 ».
À travers une quarantaine de très courts chapitres, Peter Wohlleben met en avant les comportements et capacités de certaines espèces animales, des abeilles aux ours, en passant par les pigeons, et même les blobs ! Les animaux éprouvent-ils de l’amour ou le chagrin du deuil ? Peuvent-ils voler ou mentir, avoir honte ou regretter, se souvenir ou rêver ?
C’est ainsi qu’on apprend que les sangliers savent reconnaître de nombreux membres de leur famille sur plusieurs générations, que les coqs peuvent manipuler les poules pour leur sauter dessus, que les grives litornes se défendent en groupe contre les attaques de la corneille noire, que le renard se fait passer pour mort pour gober le corvidé qui s’approche…
« S’il se met à faire très froid, les insectes [les abeilles] se blottissent les uns contre les autres pour former une grappe. C’est en son centre qu’il fait le plus chaud : c’est l’endroit le plus sûr ‒ et c’est évidemment là que doit se trouver la reine. Qu’en est-il des autres abeilles, celles qui se trouvent à la périphérie de la grappe ? Quand il fait moins de 10°C à l’extérieur, elles mourraient de froid en quelques heures. Alors, des congénères de l’intérieur viennent aimablement les remplacer, pour qu’elles puissent à leur tour aller se réchauffer au cœur de la grappe grouillante2. »
Mon avis
La vie secrète des animaux est un ouvrage passionnant qui se lit petit à petit, sur les temps de trajet, dans une salle d’attente, comme une lente imprégnation du monde animal. J’ai lu avec plaisir ces études scientifiques et récits éthologiques, même si je regrette que l’auteur s’oppose assez mollement à l’élevage intensif et à la chasse.
L’exploitation animale est aux fondements de la société capitaliste, patriarcale, colonialiste, validiste et écocidaire, comme je l’ai montré dans une dizaine de chroniques sur Bibliolingus. Avec la déforestation et la pollution des eaux, des sols et de l’air, le nombre d’animaux non domestiqués et leurs habitats ne cessent de se réduire.
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« La nature n’est pas un meuble à casiers. Il n’existe pas d’espèces fondamentalement bonnes ou mauvaises, comme nous l’avons déjà vu à propos de l’écureuil. il est cependant bien plus facile à ce dernier qu’à la tique d’éveiller notre compassion ou, au moins, notre intérêt. Et pourtant, cette minuscule créature repoussante a, elle aussi, un ressenti, qu’il est possible de prouver empiriquement, du moins en ce qui concerne les sensations toutes simples comme la faim3. »
Il s’agit de faire un pas de côté le temps de cette lecture, d’arrêter de voir les animaux de notre point de vue, de les catégoriser selon leur degré d’« utilité » ou d’« intelligence ». Il s’agit de les observer et de tenter de les comprendre pour ce qu’ils sont : des vies sensibles et sentientes, qui méritent d’être vécues et respectées. Les animaux ne sont pas « juste des machines agissant, si ce n’est sur simple pression d’un bouton, sous la seule pression des hormones4 ».
Le point fort de cet ouvrage, c’est de montrer que l’exploitation animale repose précisément sur le déni du droit à vivre des animaux. Selon l’association L214 que je soutiens depuis des années, chaque jour en France, 3,2 millions d’animaux d’élevage sont tués. Par ailleurs, d'après l’ONU, l’élevage est responsable de 12 % des émissions humaines de gaz à effet de serre, sans parler des maladies liées à la consommation de viande (cancer, maladie cardio-vasculaire).
Certain·es parmi vous le savent, je suis végane depuis 2017, mais le véganisme n’est que la face la plus visible de l’antispécisme. J’aimerais que ce livre soit un déclic pour toutes les personnes qui continuent à manger des animaux (même élevés en plein air), à consommer du lait et du miel, à porter du cuir et de la laine, à aller au zoo, à acheter des animaux de race, ou à pratiquer la chasse. Par petits pas, individuels et collectifs, on peut avancer vers un monde plus respectueux de tous et toutes, mais aussi plus sain et écologique.
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La vie secrète des animaux
Traduit de l’allemand par Lise Deschamps
Peter Wohlleben
Les Arènes
2018
388 pages
20,90 €
1. Page 245. -2. Page 81. 3- Pages 76-77. -4. Page 253.
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