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    Faut-il manger les animaux ?

    Jonathan Safran Foer

    Éditions de l’Olivier

    2010

    Même si je n’ai pas trop aimé le style décousu et certaines positions concernant l’exploitation animale, l’ouvrage de Jonathan Safran Foer, qui a rencontré un certain succès à l’époque de sa parution, ne manque pas d’impertinence, d’humour et de nombreux passages perspicaces à partager.

    « Les chiens sont innombrables, bons pour la santé, faciles à cuisiner, savoureux1. »

    Élevage industriel massif, pêche destructrice des fonds marins… Le nombre d’animaux tués chaque année est incommensurable. Les chiffres sont accablants, les vidéos tournées dans les élevages et dans les abattoirs sont insupportables. La souffrance animale entre de plus en plus dans le débat public et dans l’esprit des gens. Et pourtant, les habitudes alimentaires évoluent peu à l’échelle européenne ou mondiale. Pourquoi ?

    Jonathan Safran Foer se joue de nous en invoquant le goût pour la viande de chien dans certaines cultures. C’est vrai, après tout, on a des chiens à profusion qui sont faciles à nourrir et ne prennent pas de place comme les vaches et les moutons. Mais ça nous choque, car c’est l’« incohérence consciencieuse2 » qui nous pousse à faire le tri entre « ce qu’on mange » et « ceux qu’on aime ». Jonathan Safran Foer invoque même l’anthropodéni, le « refus d’admettre la moindre similitude expérientielle significative entre les êtres humains et les autres animaux3 ».

    C’est vrai qu’il y a la pression sociale, la « camaraderie de table » comme le dit l’auteur : « Les omnivores sélectifs mangent aussi des plats végétariens, mais l’inverse, bien entendu, n’est pas vrai. Quel choix favorise le mieux la camaraderie de table4 ? » Le végétalisme est le dénominateur commun dans beaucoup de cultures, et peut être source de pacification en cas de désaccord culturel ou religieux.

    Et puis on peut décider de manger de la « viande éthique », mais c’est « une promesse, non une réalité5 », car l’animal élevé en plein air (le vrai « plein air », pas le labellisé qui autorise une fenêtre dans l’immense hangar) a besoin de beaucoup de terres pour se nourrir. Or, il n’y a rien de moins démocratique qu’une « viande bio » à l’heure où les êtres humains sont plus de 7 milliards à vouloir potentiellement manger de la chair animale, et rien de moins écologique à une époque où l’élevage est le secteur d’activité le plus polluant, devant les transports. Et l’animal issu d’élevage « éthique », « bio », « responsable », « traditionnel », sera tué très jeune, tout comme ses congénères prisonniers du hangar, malgré les confessions d’amour de son éleveur·se.

    Alors, on choisit d’éliminer de son alimentation certains animaux et pas d’autres. D’abord les chevaux, parce que c’est beau et intelligent ; puis les veaux, parce que c’est choupi ; puis les vaches, parce qu’elles pourraient partager beaucoup de notre patrimoine génétique. Mais pas de scrupule pour le poulet, c’est connu, c’est bête comme ses pieds, et que c’est délicieux ! Pourquoi le goût serait-il exempté de règles éthiques ?

    Bref, on évite de regarder les vidéos, on justifie ses propres choix, on se cherche des excuses, on ne veut pas gêner, on s’énerve contre les véganes. Mais au final, la manière dont on traite les animaux en dit long sur ce qu’on oublie de notre propre nature animale. « La compassion est un muscle qui se renforce en travaillant, et l’exercice régulier consistant à choisir la bonté plutôt que la cruauté ne pourrait que nous transformer6. »

    Mon avis

    L’ouvrage de Jonathan Safran Foer, qui a rencontré un certain succès à l’époque de sa parution, vise à convaincre d’arrêter de manger les animaux, et particulièrement ceux issus des élevages industriels. Je le dis tout net, je n’ai pas vraiment aimé le style de l’auteur, très américain me semble-t-il, ni les positions davantage welfaristes qu’abolitionnistes, mais je lui reconnais son impertinence qui fait mouche à de nombreuses reprises.

    Jonathan Safran Foer parle de sa vie de famille, des traditions alimentaires juives, et de la naissance de son fils qui l’a poussée à écrire cet ouvrage (« les enfants nous mettent face à nos paradoxes et à nos hypocrisies, et nous sommes tout nus devant eux7 »). Même si je n’ai pas trop aimé ces passages personnels et un peu mis en scène, j’en comprends l’intérêt : ce partage d’expérience lui permet de rester au même niveau que le lectorat, car l’alimentation est une histoire tout autant intime que collective.

    Recherches documentaires, visites pas tout à fait légales d’élevages, entretiens avec des acteur·rices de l’exploitation ou de la défense animale, et même un dictionnaire sélectif... Dans cet ouvrage se succèdent pêle-mêle différents types de textes dans un long déroulement de la pensée pertinent mais décousu. Son texte est composé de chapitres et de sous parties aux titres énigmatiques ou franchement peu inspirés (comme « Ha ha, snif snif », page 209) qui n’aident pas à se repérer. Il laisse la parole à plusieurs personnes dont les points de vue sont opposés : une militante, un éleveur industriel, et même une éleveuse traditionnelle végétarienne (fallait la trouver celle-là, dans le genre contradictoire) ou le végétalien qui conçoit des abattoirs (alors celui-là, je demande à voir !). J’ai trouvé ces derniers témoignages trop en marge du problème pour être recevables, surtout que l’auteur semble tenir une position plutôt welfariste, consistant à défendre l’élevage traditionnel : c’est-à-dire que selon lui, on peut manger les animaux tant qu’on les traite bien. J’ai eu l’impression que l’auteur entretenait une certaine ambivalence et ne voulait pas paraître trop radical dans sa démarche, par peur de froisser ses camarades éleveur·se·s « traditionnel·le·s ». Pour ma part, je soutiens la position abolitionniste qui refuse toute exploitation animale, que ce soit pour en faire de la nourriture, des vêtements, des loisirs.

    Cela dit, l’ouvrage de Jonathan Safran Foer ne manque pas d’impertinence, d’intelligence, et de nombreux passages perspicaces à partager. Je lui reconnais un certain sens de l’humour (mangeons les chiens et les chats euthanasiés, ainsi on aurait des millions de kilos de viande au lieu de les transformer en farine animale pour les animaux) et une manière d’appuyer là où ça fait mal : les obstacles psychologiques à la végétalisation de l’alimentation, le lobbying de l’alimentation industrielle, les risques sanitaires liés particulièrement aux grippes aviaires.

    « Si je détourne le logo d’une entreprise, je risque la prison ; si une entreprise maltraite un milliard de volailles, la loi protègera non pas les animaux, mais le droit de cette entreprise à faire ce qui lui chante. C’est ce à quoi on aboutit quand on refuse de reconnaître les droits des animaux. Ce qui est dingue, c’est que l’idée que les animaux puissent avoir des droits paraisse dingue aux yeux de la plupart Nous vivons dans un monde où il est considéré normal de traiter un animal comme un bout de bois, et extrémiste de traiter un animal comme un animal8. » (propos d’une militante végane)

    Lisez aussi

    Planète végane Ophélie Véron

    Les animaux ne sont pas comestibles Martin Page

    La Libération animale Peter Singer

    Zoos. Le cauchemar de la vie en captivité Derrick Jensen

    Ne nous mangez pas ! Ruby Roth

    Théorie du tube de dentifrice Peter Singer

    Antispéciste Aymeric Caron

    Dans la tête d’un chat Jessica Serra

    La vie secrète des animaux Peter Wohlleben

    Faut-il arrêter de manger de la viande ? Collectif

     

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    Faut-il manger les animaux ?

    (Eating Animals)

    Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gilles Berton et Raymond Clarinard

    Jonathan Safran Foer

    Éditions Seuil

    Collection Points

    2012

    406 pages

    7,90 euros

    1. Page 42. -2. Page 21. -3. Page 63. -4. Page 75. -5. Page 336. -6. Page 338. -7. Page 58. -8. Page 123.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Avril 2018 à 13:16
    Alex-Mot-à-Mots

    Même si le sujet me questionne, je ne suis pas tentée par cette lecture à cause du style.

      • Lundi 28 Mai 2018 à 20:33

        Je comprends! Je ne saurais que recommander Planète végane d'Ophélie Véron dont tu as du voir passer la chronique ;) C'est un livre plus récent qui s'adresse aux lecteurs et lectrices français·e·s.

    2
    keisha
    Mercredi 5 Septembre 2018 à 08:29
    keisha

    Il se lit facilement celui ci, sans doute à cause du style très 'américain'. Je me souviens de ces rencontres improbables avec ces personnes dont le métier et les opinions font le grand écart. On peut améliorer grandement les conditions de vie des animaux, oui, mais quid de la façon dont on les tue, et, finalement, pourquoi décide-t-on de les manger? j'avoue ne pas avoir franchi le pas, mais m'interroger (en attendant je mange moins de viande et quand je peux choisir, pas de viande)

      • Mercredi 5 Septembre 2018 à 20:27

        Il faut y aller progressivement de toute façon, changer d'alimentation du jour au lendemain ce n'est ni bon pour le moral ni bon pour le corps (je t'épargne les détails^^). En manger de moins en moins c'est super ! Et moins on en mange moins on éprouve l'envie de chair animale (c'est pareil pour le goût du fromage ou pour les aliments très sucrés, ce sont des addictions), donc chaque animal épargné est un pas en avant dont on peut être fier·ère :)

        Quant aux alternatives, je n'ai jamais eu de problèmes dans les restaurants (que ce soit à Paris où je vis, ailleurs en France ou en Europe), les restaurateurices se font un plaisir de concocter un plat de légumes en remplacement de la viande ;) Je mange végétarien de temps en temps, car c'est plus difficile de faire retirer le fromage, le beurre et les œufs de certains plats. Il y a des ouvrages très pratiques pour cuisiner végéta*ien si ça peut aider à franchir le cap :)

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