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Karoo ≡ Steve Tesich
Karoo
Steve Tesich
Monsieur Toussaint Louverture
2012
« Saul, oh, Saul, gémit-elle, faisant de mon nom même un genre de gémissement, qu’est-ce qui ne va pas chez toi1 ? »
Saul Karoo, le génie du cinéma, le bon vivant, l’homme à femmes, le père bienveillant…
Ou Karoo, le salopard du cinéma, l’alcoolique invétéré, le baiseur de jeunes filles, le père et le mari qui ne tient jamais ses promesses, le menteur obsessionnel...
On est au début de l’année 1990, le monde soviétique s’effondre mais la puissance américaine, en apparence fastueuse, se confond dans ses contradictions. Karoo, la cinquantaine, a une solide réputation ; il est « script doctor » : il réécrit les scripts des films ou bien remonte les mauvais films. les mauvais films, mais pas seulement, car il arrive qu’on le charge de remonter des films qui sont parfaits en l’état. En public, il joue de sa « grande forme » pour fanfaronner et empocher l’argent de ses contrats avec les productions hollywoodiennes. Ce sera à celui qui a la plus grande limousine, la plus grande suite d’hôtel, la compagne la plus jeune… Les apparences comptent à un tel point qu’il veut absolument tout contrôler ; il est incapable d’accepter certaines vérités qui ne collent pas avec son personnage.
Karoo, c’est l’homme de la mise en scène ; il fuit « l’intimité intime2 » avec tous, même avec son ex-femme et son fils. Il peut être intime mais avec des spectateurs, des tierces personnes pour théâtraliser sa vie, comme s’il avait peur de se lier aux autres, peur de se retrouver avec lui-même. Fier de son fils qui étudie à Harvard (mais qu’il n’appelle et ne voie jamais), il expose davantage les théories de la famille heureuse qu’il ne les pratique.
Mais Karoo a changé, quoiqu’en pensent son ex-femme, son fils et ses relations. Il se sent atteint de pleins de maladies, comme par exemple celle qui lui permet de boire autant de verres qu’il veut, puisqu’il ne ressent plus les effets de l’alcool. Il sent la déchéance larvée sous les apparences. Même s’il a changé, ses mensonges incessants l’ont porté si haut, le Karoo qui boit, qui ment, qui manipule, qu’il se sent incapable d’assumer ses changements intérieurs. Karoo n’assume pas ce qu’il devient, il se sent plus à l’aise avec la vérité des autres. Sa volonté plie devant son ex-femme qui le voit toujours comme un alcoolique pitoyable et un père négligent.
« Lorsque vous y verrez plus clair demain matin, poursuivit-il, regardez-vous bien dans un miroir. Et vous verrez un homme en surcharge pondérale qui a dépassé la cinquantaine, qui est alcoolique et qui a des avérés de cancer et de folie dans sa famille. Vous verrez un homme au teint jaunâtre avec des cheveux qui ont l’air mort3. »
Mon avis
Karoo est un riche salopard, cynique, superficiel, bedonnant et consumériste, à l’image des États-Unis à la fin du XXe siècle. Le regard qu’il porte sur lui-même et sur son entourage est à la fois pathétique, désabusé et comique. L’homme populaire du cinéma, à l’apogée de sa carrière, voit s’infiltrer en lui des failles, des questions, des doutes. Il n’est plus le même, mais à force d’avoir usé toute sa vie du mensonge (nous ment-il aussi ?) et du spectacle, personne ne peut croire au changement. L’homme, dépossédé de sa propre identité à force de se mettre en scène, ne s’assume pas. Sa chute ne sera que plus grande pour lui, et plus jouissive pour nous.
Dans ce roman de plus de 600 pages, Steve Tesich donne à son personnage le temps et le plaisir de raconter les événements, sans concision, de décrire les personnages qui entourent Karoo (lesquels sont, comme son ex-femme et Cromwell, d’excellents personnages secondaires). Il a aussi ce je ne sais quoi qui tient en haleine, en partie dû au travail de l’éditeur : Monsieur Toussaint Louverture, éditeur indépendant et original, a choisi un beau papier de couverture. À l’intérieur, le papier est épais et a une belle couleur, et la mise en page est à la fois hyper confortable, avec de larges interlignes, et hyper esthétique avec de petits détails sympathiques à découvrir.
Littérature d'Amérique du Nord
1. Page 147. -2. Page 29. -3. Page 22.
Karoo (titre original)
Steve Tesich
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Wicke
Monsieur Toussaint Louverture
2012
608 pages
22 euros
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Tags : Toussaint Louverture, cinéma, gloire, littérature américaine, écrivain, romancier, Karoo, Steve Tesich
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Commentaires
Je viens te rendre visite suite à ton commentaire sur mon blog et je te remercie de ton passage. Je découvre à présent ton blog et je suis toute contente. Mais comme il est presque une heure du matin, je repasserai demain pour lire tes billets ! ^^
Je ne peux pas te le passer, j'emprunte énormément ! Mais par contre, si Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie te tente, tu me le dis :)
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Quel personnage !