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La révolte à perpétuité ≡ Sante Notarnicola
La révolte à perpétuité
Sante Notarnicola
Éditions d’en bas
2022
La révolte à perpétuité est le témoignage exceptionnel, étonnant et haletant de Sante Notarnicola (1938-2021), un Italien ouvrier et communiste « sans parti » qui a commis une vingtaine de braquages de banques pour financer les luttes de libération cubaine et algérienne. Lorsqu’il est arrêté en 1967, puis condamné à perpétuité, il continue à militer en participant activement au mouvement des prisons pour obtenir de meilleures conditions de détention. Publié par les Éditions d’en bas (indépendantes et suisses), La révolte à perpétuité brosse le portrait d’une jeunesse ouvrière révolutionnaire et questionne l’efficacité de nos méthodes de lutte. Un très joli cadeau à l'approche des fêtes de fin d’année !« Si je n’étais pas devenu communiste, ma vie n’aurait pas de sens1. »
Dès les premières pages, Sante Notarnicola raconte son enfance dans le sud de l’Italie, une région pauvre, auprès de sa mère célibataire. Mais, comme tous les hommes de la région, il finit par émigrer dans le Nord industrialisé dès l’âge de 13 ans pour trouver du travail.
À Turin, ville prolétaire par excellence puisqu’elle héberge les usines Fiat, le jeune Sante Notarnicola se confronte à l’aliénation au travail, à l’abrutissement des ouvrier·ères au profit des patrons. D’un même coup, il découvre le militantisme au sein du parti communiste qui était encore puissant dans les années 1950.
Mais, déçu par l’autoritarisme, la censure et le réformisme du parti communiste, il finit par prendre ses distances. Communiste « sans parti », Sante Notarnicola commence à s’informer de lui-même sur l’histoire des luttes. Dès lors, la rage à l’encontre du système capitaliste et le sentiment impérieux de devoir agir concrètement, efficacement, ne feront que grandir. Organiser des conférences et des festivals ne lui paraît pas suffisant.
Entre son boulot d’ouvrier et quelques bagarres de rue avec des fascistes, il commence à fomenter un plan d’action avec deux camarades…
« J’étais désormais convaincu que ce qui m’attendait, c’était ou la prison, ou la mort2. »
Dans le plan pour renverser le capitalisme et la bourgeoisie, la première étape consiste à financer la lutte armée des camarades de Cuba et d’Algérie. Pour Sante Notarnicola et ses camarades, il s’agit de prendre l’argent là où il est : dans les banques. Un premier coup, puis un deuxième et un troisième… Les coups s’enchaînent ; au fil des années, ils sont de plus en plus isolés de tout et tout le monde afin de se protéger de la répression étatique.
Mais il a suffi d’une fois où tout ne s’est pas passé comme prévu. Il leur faudra cavaler pendant des jours à travers l’Italie, jusqu’à leur arrestation.
« On n’essaie pas de comprendre les personnes, les situations ou les faits, mais seulement de faire entrer les accusés dans un cliché préalablement construit3. »
En prison, son combat ne s’arrête pas, loin de là. En quelque sorte, il ne fait que commencer.
Après 7 terribles mois d’isolement total, Sante Notarnicola découvre les conditions de détention inhumaines des prisons italiennes où le régime fasciste a laissé ses marques. À l’instar d’Assata Shakur et Emma Goldman, il se rend compte que tous les détenus sont prolétaires ; ils ont connu la misère et la faim, et le crime a pu se présenter, à un moment dans leur vie, comme une solution à une situation désespérée.
« Comment attendre la justice d’une magistrature qui n’est qu’un instrument docile aux mains d’une classe qui nous opprime depuis toujours4 ? »
Sante Notarnicola commence à tisser des liens avec ses codétenus, qu’ils soient de droit commun ou politiques. Ensemble, ils cherchent à améliorer les conditions de détention, à regagner la dignité à laquelle tout être humain a droit, même en prison, et à s’autoformer pour avoir une culture politique. Le mouvement des prisons italiennes naît, avec des mutineries, des pétitions et même des grèves de la faim.
L’administration pénitentiaire le transfère sans cesse de prison en prison pour l'empêcher de tisser des liens avec les autres et compliquer la tâche de son avocat, mais, en fin de compte, ces déplacements incessants vont lui permettre de rencontrer toujours plus de détenus et de créer des alliances à travers tout le pays.
L’histoire d'un révolutionnaire qui milita jusqu'en prison
Le récit de Sante Notarnicola est rare, puissant et édifiant à plusieurs égards. Il n’y a pas un mot de trop, et nombreux sont les passages que j’ai envie de partager avec vous (rendez-vous sur instagram) !
D’abord, Sante Notarnicola fait son autocritique (et celle, plus largement, de toutes nos luttes) : les braquages de banques étaient une erreur, car ils ne lui ont pas permis de financer la révolution. Il fallait toujours plus d’armes et d’argent pour préparer le prochain braquage, si bien que lui et ses comparses n’ont jamais pu dépasser la phase de financement de leur lutte contre le capitalisme. Le risque encouru était sans commune mesure par rapport à l’efficacité de l’action entreprise, sans compter que la vie clandestine n’a fait que les isoler matériellement et idéologiquement de l’ensemble des prolétaires. On pourrait ajouter qu’aujourd’hui, la société a atteint un tel niveau de contrôle social, de surveillance et de dématérialisation que la mise sur pied d’un braquage est quasiment impossible.
Ensuite, sa vie en prison est en soi un témoignage précieux, même si on ne peut que l’imaginer quand on n’y a jamais mis les pieds. Comme avec le témoignage de Makan Kebe, on voit que le système broie impitoyablement la classe des dominé·es, avec la police d’un côté et la magistrature bourgeoise de l’autre. Une fois que l’on est dans le collimateur, impossible d’en sortir.
Pire encore, Sante Notarnicola explique que c’est justement la société qui produit et définit les délinquant·es et les criminel·les. Elle punit durement celles et ceux qui ne se soumettent pas à une vie de dur labeur légal au service de la bourgeoisie. Certes, la vision de Notarnicola est datée, puisqu’elle n’inclut pas l’impérialisme, le racisme, les dominations de genre et l’écocide, mais elle ne manque pas de puissance.
Mais, paradoxalement, c’est au sein du « mouvement des prisons » que Sante Notarnicola a trouvé le meilleur moyen de militer. Il revendique le fait que les prisonnier·ères sont des citoyen·es et des militant·es comme les autres : pourquoi n’auraient-iels pas accès à la culture ? aux livres ? aux médias ? Pourquoi n’auraient-iels pas le droit de voter ? Pourquoi n’auraient-iels pas accès à des formations ? Pourquoi les personnes toxicos ne sont-elles pas plutôt dans des hôpitaux ? Le mouvement des prisons se veut à la fois autonome et partie prenante de la lutte anticapitaliste, en alliance avec les militant·es hors des prisons.
« Nous ne sommes ni fous, ni tarés ou anormaux, mais seulement des rebelles ; nous nous sommes souvent trompés de route, parce que nous sommes des exploités et des opprimés. Nous sommes le produit inévitable de ce type de société. Il ne s’agit pas de nous éliminer ou d’éliminer les délits individuels. C’est chose impossible. Il s’agit au contraire de changer les conditions sociales qui déterminent cet état de choses, raison pour laquelle nous devons tous nous unir à tous les opprimés et à tous les exploités pour créer un monde meilleur sans trop nous préoccuper de savoir si notre sort personnel nous permettra ou non de profiter des fruits de notre travail. Tout cela est possible dans les prisons comme au-dehors, même si parmi nous il y a tant de personnes réprimées moralement et psychologiquement par suite des conditions de vie qui ont précédé et suivi leur arrestation5. »
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Va et poste une sentinelle Harper Lee
1. Page 41-42. -2. Page 149. -3. Page 214. -4. Ibid. -5. Page 242.
La révolte à perpétuité
Sante Notarnicola
Traduit de l’italien par Gérard Fellay
Préface d’Erri de Luca
Editions d’en bas
2022
254 pages
18 euros
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Tags : Sante Notarnicola, prison, témoignage prison, communisme, éditions d'en bas
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