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Libérées ≡ Titiou Lecoq
Libérées
Le combat féministe se gagne devant le panier de linge saleTitiou Lecoq
Éditions Fayard
2017
Club de lecture féministe des Antigones sur le blog Un invincible été et sur le blog Antigone XXI
Libérées est une lecture qui fait franchement du bien : avec humour et clarté, Titiou Lecoq fait découvrir le féminisme et le patriarcat en amorçant le débat par un sujet qui nous concerne toutes et tous : les tâches ménagères. Cet ouvrage tout à fait accessible à un public large vise à débusquer et comprendre les mécanismes sexistes profondément ancrés chez les deux genres. Une lecture vivement recommandée !!
« Le ménage, c’est comme les règles. Un truc chiant de meuf chiante. C’est même en dessous des règles, qui, au moins, peuvent servir à une imagerie de film gore1. »
Les statistiques de l’Insee sont stables depuis 25 ans : les femmes (entendues au sens binaire du terme) continuent de faire les deux-tiers du travail domestique, et si elles en font moins qu’avant c’est surtout grâce à l’arrivée de l’électro-ménager. Les femmes en font toujours plus au sein des couples hétéros, cumulant le travail rémunéré et les tâches ménagères, ce qu’on appelle la double journée. D’autant plus que le déséquilibre dans la répartition des tâches ménagères est fortement accentué par la naissance des enfants, et plus il y a d’enfants plus les inégalités se creusent ! Par ailleurs, les hommes ont tendance à choisir les tâches les plus valorisantes, les plus occasionnelles et les moins chiantes, comme se balader avec les enfants, faire du bricolage ou du jardinage, tandis que les femmes vont récurer les chiottes et trier les vêtements.
« Qui déciderait de prendre les prérogatives des faibles alors qu’il appartient au clan des forts2 ? »
Les femmes ont une énorme tâche invisible : c’est la charge mentale qui les pousse à développer une forme d’ubiquité, à être dans un état de vigilance permanent, dans un souci viscéral d’anticiper et organiser toute la vie de famille, jusqu’à frôler, pour certaines, le « burn out » maternel. On se moque injustement des « to do list » en tous genres, mais qui pourrait accomplir ces exploits quotidiens sans ces listes ?
« La case femme est trop petite, trop étroite, trop mince, trop injonctive3. »
Comment expliquer le dévouement féminin ? Depuis des millénaires, la femme est assignée à l’entretien du foyer. Les injonctions pleuvent sur la femme infantilisée et dominée par l’homme : elle doit être bienveillante et dévouée, souriante et discrète. Elle est élevée dans le souci constant de plaire et d’éviter le conflit. Sa maison doit être propre, rangée, joliment décorée, les enfants sains, bien nourris, éduqués, ce qui était un signe de bonne moralité et de vertu. Ainsi, la vie domestique des femmes, toujours occupées chez elles, a permis de les tenir à l’écart de la sphère publique et politique, laquelle est le domaine réservé des hommes.
« C’est une société qui d’un côté répète aux filles qu’elles doivent être sexy, et de l’autre qu’elles doivent faire attention à ne pas attiser le désir4. »
Alors, les femmes se sentent naturellement plus à l’aise chez elles, c’est un espace qu’elles maîtrisent et qui leur appartient. À plus forte raison parce que la rue appartient aux hommes. Dès le plus jeune âge, on apprend aux femmes qu’elles sont fragiles et en danger dans la rue. Dès 12-13 ans, les jeunes filles découvrent les comportements concupiscents masculins et toute la violence du harcèlement de rue.
« Il faut oser prendre sa place dans le monde, et même, déjà, oser prendre de la place5. »
Les inégalités domestiques vont de pair avec les inégalités professionnelles et salariales, car les femmes sont plus vulnérables au travail (temps partiel, précarité, chômage, salaire, plafond de verre). Pour respecter ses obligations familiales multiples, la femme est encouragée à ne pas prendre davantage de responsabilités au travail, quitte à stagner professionnellement, au profit des carrières masculines. Ce comportement est renforcé par la dévalorisation de la femme au sein du milieu professionnel, et par le sentiment féminin que le temps de travail entre en concurrence directe avec le temps passé auprès des enfants. De l’autre côté, les hommes perçoivent le travail comme une manière de subvenir aux besoins des enfants.
Mon avis
La lecture de Libérées, du Club de lecture féministe des Antigones organisé par Ophélie du blog Antigone XXI et Pauline d’Un invincible été, est particulièrement intéressante à plus d’un titre. Avec humour et clarté, Titiou Lecoq fait découvrir le féminisme en amorçant le débat par un sujet qui nous concerne toutes et tous : les tâches ménagères. Cet ouvrage est tout à fait accessible à un public large, et ne simplifie pas à outrance les problématiques ; je regrette simplement l’absence du mot « patriarcat » qui met un nom sur l’ensemble des violences structurelles faites par les hommes.
Son introduction intriguera le ou la féministe en herbe, car Titiou Lecoq note que la plupart des gens ont le sentiment aveuglant que leur propre couple est dans une situation équilibrée, qu’il s’en tire mieux que la moyenne nationale, et puis lorsqu’on observe de plus près leur quotidien, il n’en est rien. De fait, l’égalité des tâches ne se fait pas « naturellement », elle se discute et se travaille.
Les discours officiels visent à faire croire que l’égalité est acquise grâce aux luttes du XXe siècle (droite de vote, IVG, divorce…) et que le féminisme est un combat dépassé. Il n’en est rien, la société est structurellement patriarcale et les mécanismes sexistes sont profondément ancrés chez les deux genres. Ainsi, les tâches ménagères sont considérées comme un sujet anodin et relevant uniquement de la sphère privée, donc rendu invisible au débat public. Pourtant, l’État a longtemps pris en charge l’enseignement ménager des femmes (ce qui prouve bien que l’éponge n’est pas une excroissance féminine mais un apprentissage genré). Il s’agit donc, d’une part, de soumettre la question à la sphère publique pour démonter les mécanismes à l’œuvre.
Les femmes sont doublement pénalisées : elles se retrouvent à assumer des journées ultra chargées, sous couvert de « normalité », et à ne pas oser s’en plaindre sous peine de passer pour la mégère aigrie. Or, personne n’aime la mégère aigrie, car elle renvoie à l’exact opposé du stéréotype de la femme douce et soucieuse du bien-être de sa famille. En prenant tout en charge, et en se résignant, les femmes évitent le conflit, et perpétuent d’elles-mêmes les inégalités. Il s’agit donc, d’autre part, de retirer la dimension affective des tâches ménagères, et de compter, concrètement, le temps que passe chacun et chacune à faire le ménage. Si nous ne parvenons pas à établir l’égalité au sein de nos foyers, comment faire entendre nos droits dans les sphères publique et professionnelle ?
Concernant le ménage, les pistes à explorer sont de deux ordres. À l’échelle personnelle, le dialogue est bien sûr le maître-mot pour rendre visibles toutes vos activités quotidiennes, et pour faire comprendre que vous n’avez pas un bac + 3 en démarrage de machine à laver. Un tableau indiquant la répartition concrète des tâches permettra peut-être de faire prendre conscience d’un décalage entre les deux membres du couple. Il s’agit aussi de déculpabiliser, de se déconditionner : tant pis si tout n’est pas nickel chez vous, les enfants développeront leurs anticorps avec les microbes, et vous gagnerez du temps sur ce qui vous fait vraiment plaisir (on a qu’une vie !). À l’échelle collective, le débat peut introduire l’amélioration du service public de la petite enfance, l’allongement de la durée du congé paternel et sa mise en application réelle…
« Pour être libre, il faut libérer nos esprits de la charge mentale, arrêter de se dévaloriser et surtout d’avoir peur. Peur d’échouer, de viser trop haut, de ne pas être à la hauteur, de dire une bêtise, de parler, de ne pas être habillée comme il faut6. »
J’ai pris le temps de savourer la lecture de Libérées, car cela m’a fait beaucoup de bien de poser les mots sur ce qui pose problème au quotidien, d’autant plus que je suis aussi freelance, comme l’autrice. Je ne suis pas épargnée, en huit ans de vie commune, même si je ne suis pas la moins bien lotie.
Et vous, quelle est votre expérience des tâches ménagères ? Vous plussoyez ou au contraire vous n’êtes pas d’accord ? Discutons-en dans les commentaires !
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Libérées
Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale
Titiou Lecoq
Éditions Fayard
2017
240 pages
17 euros
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Tags : Titiou lecoq, libérées, patriarcat, répartition des tâches, femmes, féminisme, sexisme, charge mentale
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Commentaires
Nos mères avaient jeté leur soutien-gorge, jettons le panier de linge sale !
Alors là, oui ! Pour ma part, je n'ai rien pour repasser et je ne trie pas mes chaussettes, je prends les premières que je trouve, donc je gagne du temps. Faut arrêter d'être maniaque sur certaines choses, car au fond, c'est du temps perdu sur ce qui compte vraiment dans la vie ;)