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Sur la plage de Chesil ≡ Ian McEwan
Sur la plage de Chesil
Ian McEwan
Éditions Gallimard
2008
La noce des coincés
Loin d’un monde en mutation, Florence et Edward s’apprêtent à passer leur nuit de noces. En 1962, alors que Macmillan est élu président en Grande-Bretagne et Kennedy aux États-Unis, la bombe H et l’effondrement de l’Empire anglais concentrent les débats, tout comme la contraception, le rock et les Beatles relèvent les mœurs de la nouvelle génération.
Intemporels et figés sous le paravent de familles aisées, ils tâchent de créer le mythe de leur amour, même s’ils ignorent être des inconnus l’un pour l’autre. « Lorsqu’ils n’analysaient pas leurs sentiments l’un pour l’autre — Edward commençait à se lasser de ce genre de réflexion —, ils parlaient de leurs projets d’avenir1. »
Le moment crucial
Ian McEwan est parvenu à un tour de force : à travers l’étroite fenêtre de l’espace-temps concentrée sur leur nuit de noces, il condense deux vies entières, pleines de préjugés, de maladresses et de non-dits. À l’approche de leur premier rapport sexuel où la tension monte en puissance, les déceptions et les rancœurs se cristallisent : rien ne se passera comme prévu, à notre grand plaisir.
« Alors qu’il l’a dévisageait, interrogateur, elle le prit par la main et l’entraîna vers le lit. C’était de la perversité de sa part, voire de la folie, puisqu’elle voulait avant tout s’enfuir de la pièce, traverser les jardins et dévaler le sentier pour aller s’asseoir seule sur la plage. [...] Mais elle avait un sens du devoir cruellement développé, auquel elle était incapable de déroger2. »
Mon avis
Maîtrisant habilement la narration, Ian McEwan nous offre l’œil intérieur de chacun pour mieux nous montrer les discordances. Au fil du roman, il distille çà et là les indices, les incohérences d’une relation dont l’échec semble imminent. Sur la plage de Chesil est un moment de lecture jouissif, surtout à une époque où les mœurs sont plus libres qu’en 1962 ; à coup sûr, il laisse en mémoire ses contours et son mordant longtemps après qu’on a refermé le livre.
« Ils étaient trop polis, trop coincés, trop timorés, ils se tournaient autour à pas de loup, murmurant, chuchotant, s’en remettant l’un à l’autre, s’approuvant mutuellement. Ils se connaissaient à peine, et ne pourraient jamais se connaître, à cause de ce manteau de silence complice, rarement interrompu, qui étouffait leurs différences et les aveuglait tout autant qu’il les unissait3. »
1. Page 133. -2. Page 43. -3. Page 158.
Sur la plage de Chesil
On Chesil beach (titre original)
Ian McEwan
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
Éditions Gallimard
Collection Folio n°5007
2010
192 pages
6,5 euros
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Tags : mariage, bourgeoisie, Ian McEwan, Folio, Gallimard, Chesil, littérature britannique, roman britannique, littérature, roman
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Commentaires
1YsSamedi 12 Mai 2012 à 08:51RépondreAlors comme il n'est pas impossible que j'en lise un autre de lui (c'est mon premier), je note Délire d'amour pour une prochaine expérience ;) Merci !
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