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    Les Versets sataniques

    Salman Rushdie

    Éditions Christian Bourgois

    1989

     

     

     

    « Pour renaître, […] il faut d’abord mourir1 »

    Sur le vol AI-420 détourné par des terroristes, Gibreel et Saladin sont les seuls survivants. Après avoir explosé au-dessus de la Manche, les deux Indiens sont indemnes, du moins en apparence.

    Gibreel Farishta est une fringante vedette du cinéma indien et adulé par ses amantes qu’il dénigrait pourtant. Malgré son impertinence et ses infidélités, son entourage lui pardonne ses actes : tout se passe comme s’il avait un ange gardien, jusqu’au jour où, frôlant la mort, il réalise que Dieu n’existe pas. Il le prouve en mangeant du porc sans toutefois connaître les foudres sataniques. Renié des siens, Gibreel quittait l’Inde avant le crash de l’avion.

    Fils d’un riche entrepreneur, Saladin Chamcha a eu une toute autre enfance. À l’adolescence, il est envoyé en Angleterre apprendre le métier des affaires. Les années ont passé, pendant lesquelles Saladin s’est paré d’un nouveau genre au point que ses retours à Bombay le laissent divisé, comme étranger à son peuple d’origine. C’est au retour d’un de ces voyages qu’il retournait en Angleterre à bord du vol AI-420.

    Londres, « la Vilayet de rêve, d’équilibre et de modération qui avait fini par l’obséder nuit et jour»

    Échoués sur la terre anglaise, cernés de phénomènes étranges, Gibreel prend la forme de l’Archange Gabriel, délesté de son physique disgracieux. Saladin, qui hérite du mauvais rôle et devenu le diable au sens physique du terme, subit les pires humiliations dans la société anglaise.

    Archange aussi dans ses rêves, Gibreel est hanté par des visions recréant la naissance de l’Islam. Jahilia, la ville de sable où Mahound — Mahomet — fait ses premiers pas de Prophète, est conquise par une nouvelle religion, la « soumission » où les interdictions et la peur règnent. À tour de rôle, les personnages du Coran habitent ses visions : les disciples de Mahound, Khalid, Bilal, Hamza, mais aussi Salman le Perse, entourent l’Archange Gibreel dans son sommeil.

    Animés par la rancœur, ils s’affrontent et tentent de rétablir leur vérité. Mobilisant les civilisations, les religions et les idéologies, Rushdie livre un roman dense dans lequel les récits, fictifs ou coraniques, s’enchâssent comme ceux des Mille et Une Nuits. À la fois une et mille, les voix des personnages se mélangent dans le présent, le passé et le futur, et offrent pourtant une narration et un langage extraordinairement fluides.

    « S'il risque la mort pour l'avoir écrite, alors je prendrai la peine de lire son œuvre »

    Fidèle à lui-même, Rushdie transgresse les légendes, les cultures, les codes religieux et les genres littéraires, créant des œuvres uniques, engagées et controversées. Certainement courageux et cultivé, il est l’un des auteurs emblématiques d’un siècle hanté par l’extrémisme sous toutes ses formes, parce qu’il a osé exprimer des opinions qu’il savait honnies de ses pairs. L’article de Wikipédia consacré aux controverses est éloquent. Quant à la maison d’édition indépendante Christian Bourgois, il n’est rien de plus représentatif de la qualité des choix éditoriaux menés depuis sa création en 1968.

    Pour finir

    Les Versets sataniques, plus connus pour la fatwa lancée contre l’auteur que pour leur intelligence, souffrent du mal de notre société contemporaine : à toujours vouloir aller plus vite, l’homme survole les événements, qu’ils soient culturels, politiques, religieux ou philosophiques. On se fait des fiches, on mémorise les dates, on « manichéise » ; on apprend, on retient, ça nous suffit.

    Or, le livre exige le temps de mûrir, d’être lu deux fois dans une vie pour transmettre les pensées de l’auteur au lecteur. On se base sur les résumés des résumés, sur la présentation de l’éditeur, sans prendre le temps de découvrir par soi-même.

    Les Versets sataniques, qui ont touché si peu de mains et de cœurs, mais fait couler tant d’encre, n’ont pas trouvé leur public au sein d’une société hyperactive. S’ils l’avaient trouvé, la face du monde aurait-elle changé ?

    1. Page 48. -2. Page 55.  

    Les Versets sataniques

    The Satanic Verses (titre original)

    Salman Rushdie

    Traduit de l’anglais par A. Nasier

    Éditions Pocket

    2000

    706 pages

    7 €

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  • La delicatesse foenkinos bibliolingusLa Délicatesse

    David Foenkinos

    Gallimard

    2009

    « Elle roula de plus en plus vite,  sur les petites routes, disant bonjour à la tristesse1. »

    « Elle ouvrit la porte, et proposa à Markus de sortir. Ce qu’il fit difficilement. Il était Armstrong sur la Lune. Ce baiser était un si grand pas pour son humanité2. »

    Tout commence avec un baiser volé. La prise de risque est énorme, mais Foenkinos entraîne agréablement sa panoplie de personnages stéréotypiques dans une histoire drôle. Nathalie, trentenaire et veuve, rencontre Markus à son travail. Ce jeune suédois, maladroit et plein d’humour malgré lui, est la proie de Charles, le patron de l’entreprise, en quête d’une relation adultérine avec Nathalie.

    Les ragots se répandent près de la machine à café, les clichés affluent par vagues et l’amour menace de sombrer, mais tout ira bien ! Il y a toujours une grand-mère pour préparer un bon repas quand les méchants collègues cancanent.

    « Il y a des gens formidables
    Qu’on rencontre au mauvais moment.
    Et il y a des gens qui sont formidables
    Parce qu’on les rencontre au bon moment . »

    « Il est fort. Il est vraiment très fort4. »

    Pourtant, dans la foison des stéréotypes, Foenkinos injecte beaucoup d’humour : il s’amuse des classiques de la littérature, comme lorsque Markus veut annuler un rendez-vous avec Nathalie : « Je peux pas, maman est morte5 » (L’Étranger, Camus), « Non, non je peux pas, car l’enfer c’est les autres6 » (Huis clos, Sartre).

    Outre la littérature, ce sont aussi les classiques du cinéma français (Le Grand Blond avec une chaussure noire, Un long dimanche de fiançailles), la peinture (Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, pour expliquer que l’art moderne n’a pas d’explication, tout comme le baiser que Nathalie a donné à Markus). Foenkinos fournit un ensemble agréable et léger, riche de détails et de formes narratives variées.


    Pour finir

    Le pari était osé, surtout pour le choix du titre. Foenkinos et Gallimard sont retombés sur leurs pattes : La Délicatesse est effectivement un roman délicat, à l’ambition modeste de donner une lecture plaisante, avec à la clé un film adapté par l’auteur lui-même et interprété par les acteurs passe-partout du moment. Au final, Gallimard a encore quelques bons tours dans son sac et jongle avec les enjeux littéraires et ceux, plus économiques.

    1. Page 181. -2. Page 70. -3. Page 85. -4. Page 156. -5. Page 97. -6. Ibid

    La Délicatesse

    David Foenkinos

    Éditions Gallimard

    Collection Blanche

    2009

    208 pages

    16 euros

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