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Par Lybertaire le 17 Décembre 2023 à 13:23
L’histoire d’une huître, ou comment j’ai failli rater ma vie sexuelle
Cualli Carnago
Éditions La Musardine
2021
L’histoire d’un vagin
L’autrice et illustratrice Cualli Carnago, une jeune femme racisée, raconte sa vie, de l’enfance jusqu’au début de la trentaine. Ses parents et leur héritage émotionnel, le rapport à son corps de jeune femme métisse dans une société blanche ; et, surtout, sa sexualité et ses relations amoureuses, même si, on le sait, tout cela est intimement lié dans la construction de l’identité.
Comment dépasser l’éducation de ses parents et leurs propres souffrances ? Comment découvrir son corps et sa propre sexualité, au-delà des injonctions sociétales, des représentations stéréotypées et des tabous ? Comment communiquer avec ses partenaires amoureux et sexuels et créer une relation intime, complice et épanouissante ?
Mon avis
Spontanément, je n’ai pas voulu écrire une chronique sur L’histoire d’une huître publiée par les éditions La Musardine : malgré mon engouement, les sujets qu’elle aborde me paraissaient trop intimes, trop indiscrets pour les partager, et, d’autre part, je vous réservais déjà quelques chroniques de livres féministes et intimistes. Et puis, je suis allée voir sa fiche sur Babelio, histoire de lire ce qui se dit sur ce roman graphique et en mesurer sa popularité… Mais à l’époque, il n’y avait qu’une seule critique ! Personne ne s’est exprimé sur ce petit bijou ?! Ni une ni deux, j’ai pris mon clavier…
Dans ce roman graphique, Cualli Carnago nous invite dans sa vie intime et touchante. Elle nous raconte ses difficultés, ses découvertes, ses évolutions, avec sincérité, humour et courage. Même si je n’ai pas connu toutes les problématiques qui jalonnent son parcours, il a beaucoup résonné en moi.
La mise en image est super bien faite. Car, au-delà de l’illustration de la jeune Cualli à différents âges de la vie (où les cheveux ont une grande importance), les planches sont habitées par toutes ses voix qui l’assaillent, comme l’incarnation du petit cœur qui attend de pouvoir sortir de sa cage pour exprimer et recevoir de l’amour sans peur d’être blessé, ou encore l’incarnation du monstre intérieur qui vient saboter notre estime et notre amour-propre.
Les sujets qu’elle aborde doivent justement sortir de l’intimité pour devenir publics et politiques. Même si tout cela est en train de changer, nous ne parlons pas assez du désir sexuel (ou de son absence), du vaginisme, de l’introversion, de la dépression, du manque de confiance qui nous empêche de nous découvrir, d’être nous-mêmes, de faire ce que nous aimons, et qui nous force à nous conformer à des stéréotypes qui nous font du mal.
Ce livre, c’est une sorte de petit cadeau que Cualli Carnago nous fait, et je vous invite, à votre tour, à en bénéficier en plongeant dans L’histoire d’une huître.
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Léa Castor Corps à cœur Cœur à corps
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Coral Herrera Gomez Révolution amoureuse
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Mathilde Larrère Rage against the machisme
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♥ Pauline Le Gall Utopies féministes sur nos écrans
Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges
♥ Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française
Julia Serano Manifeste d'une femme trans
L’histoire d’une huître, ou comment j’ai failli rater ma vie sexuelle
Cualli Carnago
Éditions La Musardine
2021
200 pages
17 euros
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2 commentaires -
Par Lybertaire le 6 Février 2023 à 20:16
Blanc autour
Wilfrid Lupano
Stéphane Fert
Éditions Dargaud
2020
La BD Blanc autour de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert raconte l’histoire de l’école de Prudence Crandall, vraisemblablement le premier établissement à avoir accueilli des personnes noires aux États-Unis, et de surcroît des filles. Mais ce point de départ, qui avait tout pour me séduire, ne m’a pas convaincu. Cette BD est particulièrement belle, mais elle me semble superficielle et maladroite, et je vais vous expliquer pourquoi.
« Le “non”, c’est le monde entier qui te le dit1 »
Nous sommes en 1832, dans le Connecticut, au nord des États-Unis où l’esclavage est, en théorie, déjà aboli (il sera « aboli » dans l’ensemble du pays trente ans plus tard). Sarah Harris, une jeune fille afro-américaine, veut s’instruire. Elle s’adresse alors à sa patronne, Prudence Crandall, qui tient une école pour jeunes filles blanches, afin de lui demander si elle peut elle aussi suivre les cours.
Mais Sarah Harris, qui deviendra officiellement la première élève afro-américaine aux États-Unis, va voir fondre sur elle tout le racisme de cette petite ville du Connecticut…
Mon avis
Blanc autour avait visiblement tout pour me plaire. J’ai été séduite par le fait qu’un roman graphique s’empare des thématiques du racisme et du féminisme qui parcourent l’ensemble de Bibliolingus. J’ai été séduite par ces très beaux dessins qui font se côtoyer l’univers enfantin des jeunes filles afro-américaines et l’ambiance sombre, inquiétante et dramatique du racisme.
Pourtant, je n’ai pas eu de coup de cœur. D’abord, j’ai eu du mal à garder le fil de l’histoire, à identifier les passages d’une scène à l’autre et les ellipses.
Ensuite, l’ensemble m’a paru très superficiel. Les liens sociaux entre les personnages ne sont pas facilement repérables ; et la personnalité et le parcours des jeunes filles afro-américaines et de Prudence Crandall sont à peine esquissés. Comme il y a probablement peu de sources historiques (l’histoire des femmes, racisées de surcroît, ayant bien souvent été occultée), les auteurs auraient pu vouloir insérer de la fiction, imaginer une histoire intime par-dessus les faits historiques. En tant qu’hommes blancs français, peut-être n’ont-ils pas voulu romancer pour ne pas créer d'interférences, pour ne pas travestir les faits historiques ? On suppose néanmoins tout le courage qu’il a fallu à ces jeunes filles noires pour entrer dans cette école. Il a fallu dépasser la peur de la répression et le sentiment d’illégitimité inculqué depuis toujours aux personnes noires.
Il y a pourtant deux personnages sortis tout droit de la fiction, qui sont posés là de manière factice pour incarner une idée, et qui n’existent pas pour eux-mêmes : le petit garçon Sauvage et la sorcière.
A rebours de l’émancipation par la lutte non-violente, le petit garçon Sauvage défend la lutte armée du révolutionnaire afro-américain Nat Turner et décrit l’école comme une institution bonne à formater les esprits. La question que pose ce personnage est, me semble-t-il, celle-ci : peut-on gagner une lutte émancipatrice en étant dans les entrailles du système ? L’instruction fournie par une société profondément blanche, raciste, colonialiste et misogyne peut-elle rendre ces femmes noires libres ? Elles vont apprendre l’Histoire officielle des Blanc·hes qui occulte l’impérialisme et l’esclavage responsables du déracinement de millions de femmes et d’hommes du continent africain.
Quant au personnage de la sorcière, il semble surfer sur la passion grandissante des sorcières (à laquelle j’ai réchappé), érigées en femmes indépendantes, féministes, empouvoirantes, dissidentes. Mais je comprends incidemment que ce personnage sert à dire que ces jeunes filles afro-américaines, nouvellement instruites, pourront tenter de sortir de leur condition de citoyennes de seconde zone, qu’elles pourront à leur tour offrir à leurs enfants le gage d’une vie plus éclairée.
Pour finir, cette BD est particulièrement belle, mais elle me semble superficielle et maladroite. Même si c’est important de mettre en lumière un moment historique notable, j’aurais préféré qu’elle soit écrite par des personnes davantage concernées, et d’autre part je regrette qu’on ne parle de Noir•es que pour les ramener aux problématiques du racisme et de l’esclavage ; et plus la problématique raciale est lointaine aux plans chronologique et géographique, plus elle est audible des Blanc•hes.
Lisez aussi
L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni
Retour dans l’œil du cyclone James Baldwin
Mon histoire Rosa Parks
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Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur Harper Lee
Va et poste une sentinelle Harper Lee
L'Intérieur de la nuit Léonora Miano
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Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue
Comment la non-violence protège l’État Peter Gelderloos
Le Ventre des femmes Françoise Vergès
Rage against the machisme Mathilde Larrère
Décolonial Stéphane Dufoix
1. Page 17.
Blanc autour
Wilfrid Lupano
Stéphane Fert
Éditions Dargaud
2020
146 pages
20,50 euros
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Par Lybertaire le 22 Août 2022 à 20:15
Corps à cœur Cœur à corps
Léa Castor
éditions lapin
2019
Pouvez-vous me citer ne serait-ce qu’une seule femme de votre entourage qui n’a pas de complexe physique ? Nez, poils, seins, fesses, cuisses, cellulite, vergetures, bourrelets des aisselles et même hip dips… Avec l’arrivée des grosses chaleurs, des débardeurs, des shorts et des regards plus ou moins bienveillants, la lecture de Corps à cœur Cœur à corps de Léa Castor, publiée par les éditions indépendantes lapin, agit comme un baume apaisant sur nos souffrances systémiques.
« Tu veux bien, m’aider à m’aimer en entier, dis ? »
Corps à cœur Cœur à corps est un recueil de témoignages de femmes qui racontent leurs complexes et leur parcours pour s’en défaire. En quelques pages, Léa Castor met en scène chacun de ces témoignages en dessinant ces corps mal-aimés et éprouvés grâce aux photos qui lui sont envoyées. Chaque témoignage se conclut par la réaction souvent émue (et émouvante) des femmes.
Ces femmes racontent leur souffrance, la détestation de leur corps qui peut aller jusqu’aux TCA (troubles des conduites alimentaires) ou à la scarification, leurs stratégies de camouflage, leur prise de conscience et, pour la plupart, l’acceptation de leur corps.
Mon avis
Je me suis beaucoup retrouvée dans les témoignages de ces femmes qui se mettent à nu, qui montrent leur fragilité et la manière dont elles essaient de dépasser leurs complexes. Ça m'a fait beaucoup penser aux vidéos salvatrices de Cher corps de Léa Bordier.
Imaginez le temps, l’argent et l’énergie mentale que nous gaspillons au cours d’une vie pour scruter notre corps, pour le modeler et chercher à en « corriger les défauts ». Nous vivons constamment dans une auto-surveillance implacable, en quête d'une perfection qui n’existe pas et de canons de beauté impossibles à atteindre (et qui évoluent sensiblement au fil du temps, ce qui rend cette quête d’autant plus insatisfaisante).
En fin de compte, le complexe naît de la manière dont la société perçoit le corps humain, et celui des femmes en particulier. Aucun⋅e enfant ne naît avec un complexe en tête.
Impossible d’échapper à la pression sociétale : nous sommes cernées par les publicités et les médias qui, pour des raisons économiques, se nourrissent de nos peurs pour nous vendre le bikini body ou le programme ventre-plat à chaque printemps… La vague écrasante de développement personnel nous pousse sans cesse à « être une meilleure version de nous-même », comme si nous étions un produit qui augmente en gamme au fil du temps… Le développement personnel nous gaslighte : il pointe du doigt notre difficulté à perdre du gras, à arrêter le sucre, à faire du sport, sans jamais aborder les causes de la malnutrition, de l’obésité, des addictions et du stress qu’induisent la société capitaliste.
Et, à l’ère des médias sociaux où tout le monde regarde tout le monde, le regard des autres est démultiplié, déshumanisé et cruel. Dans la vie « réelle », il n’y a pas d’un seul coup des centaines ou des milliers de personnes qui viennent nous accoster pour nous dire, de but en blanc, sans un « bonjour », que nous sommes moches et que nous ferions mieux de faire du sport pour perdre le « surplus » de gras.
Nous voyons notre corps comme une machine à améliorer, alors qu’il fait intégralement partie de notre personne. Notre corps raconte notre histoire, il est le témoin de notre vécu, de nos expériences. Les vergetures racontent une grossesse, les pattes d’oie racontent nos rires et nos pleurs… Notre corps témoigne aussi de notre place dans la société et de notre classe sociale : les mains abîmées sont celles des travailleuses et travailleurs manuel·s et des plus précaires, l’obésité concerne davantage les plus pauvres d’entre nous. L’idéal de beauté, c’est le corps qui n’a pas vécu et souffert, qui n’a pas dû trimer pour gagner sa croûte.
Et surtout, voyons notre corps comme il est : sa fonction première est de nous permettre de vivre, si possible en bonne santé. Il nous permet avant tout de sentir le monde et d’interagir avec lui.
Voilà une BD intime, dessinée et colorée tendrement, qui nous invite à changer notre regard sur le corps humain, à arrêter de lui faire la guerre, à prendre de la distance avec les normes misogynes. Car, au risque d’écrire quelque chose de très banal, je voudrais rappeler que nous sommes finalement la première personne avec qui nous allons vivre pour toute la vie. Notre corps est légitime, aimons-le tel qu’il est !
Et vous, quel est votre rapport avec votre corps ?
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Pas d'enfants, ça se défend ! Nathalie Six (pas de chronique mais c'est un livre super !)
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Camel Joe Claire Duplan
L’Histoire d’une huître Cualli Carnago
Corps à cœur Cœur à corps
Léa Castor
éditions lapin
collection Causes en corps
2019
224 pages
20 euros
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