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La petite communiste qui ne souriait jamais ≡ Lola Lafon
La petite communiste qui ne souriait jamais
Lola Lafon
Editions Actes sud
2014
Traumavertissement : TCA
Alors que Nadia Comaneci vient de porter la flamme olympique des Jeux olympiques de Paris 2024, je me suis plongée dans la lecture de La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon. Ce romn raconte l’histoire de la célèbre gymnaste roumaine qui a révolutionné la pratique de la gymnastique et cristallisé des enjeux féministes et idéologiques.
« [...] elle s’élève au-dessus des lois, des règles et des certitudes, une machine poétique sublime qui détraque tout1. »
1976, Jeux olympiques de Montréal. Devant les caméras du monde entier, la gymnaste roumaine Nadia Comaneci provoque une déflagration en obtenant la médaille d’or pour les barres asymétriques et la poutre.
La jeune fille, âgée de 14 ans seulement, obtient le premier 10 de l’histoire des JO. Comme une machine implacable, elle évolue autour des barres asymétriques sans peur, sans aspérités, sans odeur ni transpiration. La « Lolita olympique2 » est parfaite, jusqu’à l’effacement de son corps.
En 90 secondes, elle rend obsolètes toutes ses concurrentes âgées de 20 ans qui, avec leurs fesses, leurs seins et leurs hanches, exécutent des figures lourdes et disgracieuses.
En 90 secondes, son corps enfantin, compact, mince, léger subjugue des millions de téléspectateurices et attire les pires commentaires sexistes et pornographiques des journalistes. Elle a « ravagé le joli chemin rétréci qu’on réserve aux petites filles3 » en Roumanie et fasciné des millions de petites filles à travers le monde qui veulent elles aussi grimper aux arbres et s’affamer pour lui ressembler.
« Aujourd’hui, la Nadia, elle a dix-huit ans, elle porte un soutien-gorge et doit se raser les aisselles4 » (The Guardian, juillet 1980)
La petite Nadia, qui a commencé la gymnastique à 6 ans, suit un entraînement brutal dans une école financée par le régime dictatorial de Ceausescu. Elle doit sa performance à la combinaison d’un affamement méthodique qui ne peut la mener qu’aux troubles des conduites alimentaires (TCA) et d’un sur-entraînement qui provoque inévitablement des blessures. En pleine guerre froide, on s’empresse de dénoncer l’exploitation de l’Est, ces « petites filles bien dressées5 », mais très vite les écoles états-uniennes forment leurs athlètes avec cette discipline de fer...
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Après l’exploit de 1976, la « petite fée communiste6 » est scrutée par les journalistes et les commentateurs du monde entier, son corps devient une obsession quasi pornographique. Lorsqu’elle réapparaît aux championnats d’Europe, du monde, puis aux JO de Moscou en 1980, ils saccagent sur la place publique son corps devenu pubère. L’icône exceptionnelle est périmée, jetée du piédestal, renvoyée à sa condition de femme banale et impure.
« Nadia, dès 1975, est-elle une simple citoyenne roumaine ou est-elle déjà devenue une parcelle de drapeau, une histoire en cours d’écriture, une arme nationale8 ? »
Femme, athlète et roumaine, Nadia Comaneci se situe au cœur des enjeux féministes et idéologiques. Tour à tour victime, outil de propagande durant la guerre froide, actrice de son exploitation, Nadia Comaneci est sacrée « Héroïne du travail socialiste » et « Enfant nouvelle du progrès9 » par Ceausescu, et traitée de « monstre », de « grosse vache10 » par son entraîneur Béla Károlyi maintenant qu’elle a atteint la puberté, la « Maladie11 ».
Mon avis
La lecture de La petite communiste qui ne souriait jamais (paru en 2014), tombe à point nommé (les hasards d'une déambulation à la bibliothèque), puisque Nadia Comaneci a porté la flamme olympique pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris !
Même si j’ai trouvé le style un peu ardu, mélangeant les points de vue dans un discours indirect libre parfois confus, j’ai été saisie par la manière dont la narratrice décrit le contrôle du corps féminin ; les regards malsains des journalistes sur ces « Bébés gymnastes12 » ; « l’arrogance occidentale13 » face à la société roumaine, l’interdiction de l’avortement et de la contraception en Roumanie en 1966.
La manière dont elle raconte la fin de la Roumanie communiste totalitaire sous Ceausescu et son passage au libéralisme m’a beaucoup fait penser à La fin de l’Homme rouge de Svetlana Alexievitch (que j’adore).
Cette lecture captivante, instructive, qui mêle enquête et fiction, m’a appris plein de choses sur l’univers de la gymnastique, comme l’histoire tragique de l’athlète soviétique Elena Mukhina (1960-2006), qui est devenue paralysée à la suite d’une chute.
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La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon
Lola Lafon
Editions Actes sud
collection Babel
2014
320 pages
9,20 euros
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Tags : la petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, Nadia Comaneci, roman Nadia Comaneci, jeux olympiques Paris 2024, jeux olympiques
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Commentaires
C'est la prochaine lecture commune de mon groupe de lecture à Lille !
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Mercredi 11 Septembre à 17:55
Oh, c'est chouette ! Très circonstancié du coup ! J'ai adoré regarder des vidéos d'archive au fil de ma lecture ;)
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J'avais aimé que ce roman aille au-delà de la gymnaste.
Coucou ! C'est le premier roman que je lis de Lola Lafon, mais je pense qu'elle procède ainsi dans les autres, et j'aime beaucoup : tu m'en conseillerais un en particulier ?