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31° Nord 35° Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
Un an de génocide à Gaza. Dans cet ouvrage publié en 2020, Khalil Tafakji (né en 1948), cartographe et géographe palestinien, raconte comment, pendant plus de 30 ans, il a documenté la colonisation israélienne et apporté son expertise lors des négociations avec Israël pour tenter d’obtenir un accord de paix et de définir un État palestinien. Un ouvrage éclairant sur les enjeux territoriaux, en particulier sur l’implantation aussi insidieuse qu’implacable des colonies en Cisjordanie, le mur de l’apartheid et la judéisation de Jérusalem.
« Nous observons les processus de la colonisation israélienne depuis 1983. Nous savons où trouver l’information, directement, indirectement, peu importe1. »
À travers une vingtaine de chroniques, Khalil Tafakji parle de son parcours professionnel de géographe vivant à Jérusalem. Lorsqu’il rejoint en 1983 la Société d’études arabes, fondée par Fayçal al-Husseini, sa mission consiste à cartographier les villages détruits par l’armée israélienne, ainsi que les colonies israéliennes et leurs avant-postes implantés en violation du droit international.
Pendant des mois, il a sillonné toute la Cisjordanie avec son équipe (usant parfois de subterfuges pour entrer dans les colonies israéliennes). Le but consistait à reporter les avancées israéliennes sur une carte, car Khalil Tafakji intervenait en tant qu’expert lors des négociations avec Israël.
Par la suite, la Société d’études arabes sera sans cesse dans le collimateur des services secrets israéliens (arrestations, confiscations de tout le matériel et de leurs bureaux), parce qu’elle a pour but de mettre en place les institutions qui pourront un jour fonder un État palestinien.
« Depuis cinquante ans, Israël procède au blanchiment des activités illégales des colons2. »
Avec plus de 500 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en 2019, réparti·es sur 132 colonies et 116 avant-postes, les Territoires palestiniens sont devenus un véritable gruyère. Entre le mur de l’apartheid, les routes de contournement des colonies et les checkpoints, la liberté de circulation des Palestinien·nes est totalement entravée, et leur vie semble tout à fait insupportable, et encore plus depuis un an.
« Il faut à Israël rendre la vie des Palestiniens impossible et celle des Israéliens la plus séduisante possible3. »
Le mur de l’apartheid est un énorme scandale à lui tout seul. Long de 700 km et mesurant jusqu’à 8 mètres de hauteur, fortifié par des barbelés et des miradors, le mur érigé par Israël ne respecte pas la frontière entre Israël et la Cisjordanie, fixée par l’ONU en 1949, mais empiète la Cisjordanie sur plusieurs kilomètres, ce qui crée un no man’s land, une prison à ciel ouvert pour les villages palestiniens pris entre les deux. De fait, plusieurs villages palestiniens se retrouvent coupés en deux, des milliers d’habitant·es sont séparé·es de leur famille, de leur travail, de leurs oliviers, des services publics, tandis que les colons circulent en toute liberté.
« [...] sous aucune latitude l’occupation ne permet de construire un futur de paix4. »
Et, comme Khalil Tafakji habite Jérusalem, il lui consacre plusieurs chroniques très instructives. Au mépris des résolutions de l’ONU et de la convention de Genève, Israël tente d’en faire sa capitale en forçant le départ des quelque 38 % de musulman·es qui habitent encore à Jérusalem-Est, à l’aide de tout un arsenal de lois fallacieuses. La municipalité détruit leurs quartiers, ne leur accorde aucun permis de construire et n’offre aucun service public (ramassage des poubelles, réfection des trottoirs et des espaces publics…).
Mon avis
31° Nord 35° Est est un ouvrage intéressant, car son auteur, géographe de métier, se concentre sur un enjeu stratégique pour la Palestine : la délimitation de son territoire, occupé depuis un siècle. Il montre notamment comment la définition d’une frontière, parfois faite au doigt mouillé, peut avoir des conséquences dramatiques pendant des décennies. L’histoire de la Palestine concentre tout ce qu’il y a de pire dans la colonisation, la frontiérisation des peuples et la propriété privée. Et parce qu’il a eu accès aux plans directeurs des autorités israéliennes de 1967, Khalil Tafakji a pu prouver que leur ambition (en toute illégalité) est d’annexer la Cisjordanie, de la Méditerranée au Jourdain, et de créer des accès rapides vers les grandes villes des pays du Golfe, sans parler de Gaza qui reste une épine dans le pied du géant israélien…
L’ouvrage de Khalil Tafakji est constitué de courts chapitres qui permettent de s’arrêter pour souffler, et de reprendre à petites doses. Sa lecture est dense mais accessible, du moins si l’on a une carte à côté pour mettre en situation ce qu’il raconte, c’est pourquoi je vous recommande vivement de commencer par la lecture de L’Atlas des Palestiniens (chronique à venir).
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31° Nord 35 Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
256 pages
19 euros
1. Page 69. -2. Page 140. -3. Page 217. -4. Page 243.
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Dans la tête d’un chat
Jessica Serra
humenSciences
2019
Mon histoire personnelle avec ce livre, c’est que j’ai décidé de le lire parce que mon chat est malade. J’avais besoin d’une lecture rationnelle pour expliquer mon amour et ma douleur infinie, pour apprendre à le connaître plus intimement et profiter au mieux du temps qu’il nous reste ensemble.
« Déifié, toléré, puis détesté, le chat a gagné aujourd’hui le titre de membre de la famille1. »
À notre époque, les chats sont vénérés par leurs humain·es, les vidéos et photos de chats inondent internet, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Difficile aujourd’hui de penser qu’ils ont été torturés, emmurés et tués par millions durant l’Inquisition, et que les femmes qui possédaient des chats étaient accusées de sorcellerie.
Avec 600 millions de chats dans nos foyers à travers le monde, les temps ont changé ! C’est apparemment au cardinal Richelieu (1585-1642), le ministre de Louis XV, que nous devons sa réhabilitation en Europe. Mais ce regain d’amour est à double tranchant, car il a mené à la création des races du XIXe siècle, et à l’objectification du chat.
Cela dit, cet amour est tout relatif, car, malheureusement, la France est championne en matière d’abandons d’animaux domestiques. En 2022, la SPA a recueilli 27 940 chats dans ses refuges… Ne participez pas à la marchandisation des animaux de race, il y a tellement de petits individus malheureux à adopter !
Selon l’autrice, la première cohabitation aurait commencé il y a 10 000 ans, dans le Croissant fertile, en Cisjordanie, avec le peuple des Natoufien·nes qui capturèrent des chats dans leurs maisons. Ils leur rendaient service en chassant les souris qui dévoraient les réserves de nourriture.
Même si les civilisations successives ont davantage dressé les chiens que les chats, ceux-ci n’ont eu d’autre choix que de s’adapter continuellement à nous, à nos conditions de vie, nos exigences, nos critères de sélection. Pour expliquer cette dépendance à l’être humain, le biologiste néerlandais Louis Bolk (1866-1930) a développé le concept de néoténie à partir de l’observation des primates puis des bébés humains. Pour s’adapter à nous, les chats auraient conservé leurs caractéristiques infantiles comme le ronronnement, le miaulement et le patounage. Dans ce processus d’infantilisation, ils seraient une « version infantile du chat sauvage2 », une intuition que j’avais eue en observant mon chat, sans pour autant la nommer.
« [Descartes] a insufflé durant des siècles l’idée d’un animal robot n’obéissant qu’à une série de réflexes innés, incapable de ressentir ou de raisonner3. »
Après ce chapitre sur l’histoire de la domestication des chats, l’éthologue Jessica Serra décrit la manière dont ils perçoivent le monde. Comment s’orientent-ils dans le temps et l’espace ? Saviez-vous que la petite moue de flairage qu’ils font s’appelle en réalité le Flehmen, leur permettant de percevoir précisément les phéromones ? Ressentent-ils de la peur, de la jalousie ? Nous aiment-ils vraiment ?!
Il s’agit de faire la part des choses entre notre tendance à anthropomorphiser les animaux et la vision héritée de Descartes de l’animal-robot dénué d’intelligence et de sentiments, simplement mû par son instinct de survie. Il faut dire aussi que les études comportementales menées sur les chats sont beaucoup moins nombreuses que celles sur les chiens (qui sont beaucoup plus coopérants et obéissants), et surtout que le bien-être des chats n’est pas du tout une priorité pour nos sociétés spécistes, anthropocentrées, racistes, capitalistes, patriarcales et écocidaires.
Mon avis
Mon chat, je lui dois beaucoup, à commencer par le fait qu’il m’a fait devenir végane et antispéciste. Depuis dix ans, il me fascine toujours autant : tout chez lui éveille en moi un amour infini, une fascination éternelle, mais aussi, désormais, l’angoisse de sa mort pourtant inexorable.
Je le chéris tant qu’il est là, nettoyant inlassablement ses diarrhées depuis 9 mois, mais un double deuil me guette : sa perte incommensurable et l’impossible adoption d’un autre petit bonheur, faute de moyens financiers.
Cet ouvrage m’a fait beaucoup de bien, même si j’avais déjà bien cerné mon chat. Il met des mots sur mes observations, il matérialise mon amour pour lui. Cette lecture me prépare (un peu) à accepter l’inéluctable, et je vais la prolonger avec l’ouvrage de Pauline Le Gall, Le petit chat et moi, aux éditions Philippe Rey (chronique à venir).
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Dans la tête d’un chat
Jessica Serra
Éditions J'ai lu
2021
7,90 euros
352 pages
1. Page 267. -2. Page 240. -3. Page 112.
5 commentaires -
21 septembre
Journée internationale de la bibliodiversité
Préserver l'édition indépendante
Coucou ! Aujourd’hui, 21 septembre, ce n’est pas seulement le triste anniversaire de l’explosion d’AZF à Toulouse où on a toustes cru mourir, c’est aussi la journée internationale de la bibliodiversité.
Un article qui me tient à cœur, et que je prépare depuis plusieurs mois, car je défends la bibliodiversité à travers Bibliolingus.fr (depuis bientôt 13 ans), et travaille dans et pour des maisons d’édition indépendantes.
Je n’avais pas mesuré à quel point c’était difficile de réaliser ce contenu. J’espère qu’il vous sera utile et que vous apprendrez des choses. J’ai hâte de connaître vos retours !
1- Qu’est-ce que la bibliodiversité ?
Inspirée du concept de « biodiversité », la bibliodiversité a été créée dans les années 1990 par l’Association des éditeurices indépendant·es du Chili. La bibliodiversité est un écosystème qui contribue à l’épanouissement des cultures et des idées par les livres.
La bibliodiversité repose sur l’interdépendance de toustes ses acteurices : auteurices, maisons d’édition, papetier·ères, imprimeur·ses, diffuseur·ses-distributeurices, libraires, bibliothécaires, critiques, lecteurices, mais aussi, plus largement, des organisations culturelles, associatives, politiques, et des institutions scolaires et universitaires qui utilisent chaque jour des livres.
2- Contre la monoculture
Les livres des grands groupes éditoriaux (Hachette et Editis en tête) dominent le marché du livre, au détriment des petites maisons d’édition.
Le processus à l’œuvre dans l’édition est le même que dans les autres industries. Depuis le XXe siècle, les grands groupes ont décuplé leur force de frappe commerciale en rachetant des sociétés de diffusion et de distribution, ainsi que des librairies et des imprimeries. Cette concentration verticale et horizontale leur permet de maîtriser et dominer l’ensemble de la chaîne du livre.
3- Contre la surproduction
Dans une course effrénée pour alimenter sans cesse la machine, les groupes éditoriaux produisent toujours plus en prenant le moins de risques possible :
- Ils publient des livres homogènes, stéréotypés, conservateurs, susceptibles de devenir des best-sellers et des coups marketing dont la durée de vie en rayon est de quelques mois. Ces livres répondent parfaitement aux logiques capitalistes d’Amazon, des grandes surfaces et des médias. Ils bénéficient de l’appui des prix littéraires complaisants (Goncourt, Renaudot, Femina, Académie française…).
- Ou ils s’emparent des contenus produits à la marge par les petites maisons d’édition, celles qui, chaque jour, prennent des risques pour faire émerger des voix innovantes, controversées, silenciées, les voix des femmes, des populations marginalisées, colonisées, des classes sociales opprimées… Selon le principe de la fenêtre d’Overton, les voix qui deviennent progressivement moins subversives, plus acceptables, sont récupérées par les grands groupes éditoriaux qui participent à leur tour à leur normalisation à plus grande échelle.
4- Préserver le fragile terreau de la diversité culturelle
Face aux logiques capitalistes et écocidaires, face à la censure économique, politique et intellectuelle, et malgré la loi Lang sur le prix unique du livre (1981), les acteurices de la bibliodiversité sont de plus en plus précarisé·es.
Comme pour la biodiversité, l’équilibre est précaire : il suffit de la mainmise avide de Bolloré, de la prédation des GAFAM, de la fermeture d’une librairie, ou même du lancement d’une nouvelle collection pour entraîner des répercussions sur toute la chaîne du livre.
Ensemble, auteurices, éditeurices, libraires, bibliothécaires, critiques et lecteurices, nous sommes le terreau d’une diversité culturelle qu’il nous appartient de nourrir et de protéger.
Car le livre est un support pour transmettre des idées, des savoirs, des imaginaires, qui sont autant d’outils contre le fascisme et l’ignorance, pour la justice, la liberté d’expression et l’émancipation. Ensemble, nous pouvons organiser notre autonomie et notre solidarité.
Sources
- Alliance internationale de l’édition indépendante
- CNL (Centre national du livre)
- Livres Hebdo
- SNE (Syndicat national de l’édition)
- Ministère de la Culture
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