• Pot-Bouille Zola Bibliolingus

    Pot-Bouille

    (tome 10 des Rougon-Macquart)

    Émile Zola

    Éditions Georges Charpentier

    1882

     

    Encore une fois, je me suis régalée avec Pot-Bouille, le tome 10 des Rougon-Macquart ! Cette fois, il utilise le registre de la comédie dramatique pour tailler un costard à la bourgeoisie et petite bourgeoisie parisienne du Second Empire (1851-1870) et dénoncer l’antagonisme des classes. Mais, au-delà de cette critique acerbe, c’est surtout la violence envers les femmes qui a retenu toute mon attention.

    « Eau et gaz à tous les étages, mon cher1. »

    Octave Mouret, 22 ans, quitte sa ville natale de Plassans (tome 4) pour s’installer à Paris. Grâce à Campardon, un ami de ses parents, il obtient une chambre dans un immeuble récent et cossu dans la rue de Choiseul, dans le 9e arrondissement, près du futur Opéra Garnier. 

    Campardon, qui y habite lui-même, lui fait la visite de tous les étages. Il répète à l’envi que les familles qui vivent dans l’immeuble sont respectables, honnêtes, éduquées. Tant et si bien qu’on se permet très vite d’en douter…

    Octave est prévenu : il lui est interdit de ramener des femmes...

    « La cour s’enfonçait, triste et propre, avec son pavé régulier, sa fontaine dont le robinet de cuivre luisait. Et toujours pas un être, pas un bruit ; rien que les fenêtres uniformes, sans une cage d’oiseau, sans un pot de fleurs, étalant la monotonie de leurs rideaux blancs. Pour cacher le grand mur nu de la maison de gauche, qui fermait le carré de la cour, on y avait répété les fenêtres, de fausses fenêtres peintes, aux persiennes éternellement closes, derrière lesquelles semblait se continuer la vie murée des appartements voisins2. »

    « C’était une paix morte de salon bourgeois, soigneusement clos, où n’entrait pas un souffle du dehors3. »

    Avec Octave, le fil rouge du roman, on s’introduit dans la vie intime des familles de l’immeuble, liées entre elles par M. Vabre, le vieux propriétaire de l’immeuble. Autour du grand escalier d’une « sévérité bourgeoise4 », c’est toute une « pot-bouille » qui se livre : au XIXe siècle, ce terme désigne une cuisine ordinaire de maison, l’équivalent de la « popote » aujourd’hui.

    Mais on se rend vite compte que, derrière l’apparence respectable, chaste et calme, les bourgeois·es se déchirent, manigancent tout le temps pour obtenir l’héritage du père, négocier des mariages juteux, prendre des amant·es…

    « Moi, lorsque j’ai eu vingt sous, j’ai toujours dit que j’en avais quarante5… »

    Il y a Mme Josserand qui crève d’ambition, de jalousie et d’humiliation. Elle rêve de donner de grosses réceptions comme les Duveyrier, avec un piano et un chœur, mais doit se contenter de son mari trop honnête pour être carriériste et chercher l’argent où il se trouve. 

    Pour paraître plus riches qu’iels ne le sont, les Josserand vivent au-dessus de leurs moyens. De belles robes, de beaux meubles, quitte à manger chichement tous les jours !

    Mme Josserand est prête à tout pour trouver un bon parti à sa fille Berthe. Elle la traîne de réceptions en réceptions, la pousse dans les bras de tous les jeunes hommes bourgeois, en prétendant avoir une dot de 50 000 francs…

    « Mais, avant tout, veille sur ta fille, écarte d’elle le mauvais air, tâche qu’elle garde son ignorance6… »

    À l’image de Berthe, les femmes de la bourgeoisie ont pour seule perspective de trouver un bon parti, un mari riche et bien placé. Aucun mariage ne naît de l’amour, ils sont le fruit de tractations et de mensonges.

    Une jeune fille de la bourgeoisie doit être vierge, pure, inculte et coupée du monde extérieur. Dans cette « éducation de poupée7 », elle doit se garder de lire des romans qui pourraient exciter son esprit et d’écouter les conversations des adultes qui pourraient lui donner de « mauvaises idées ». 

    « Alors, par phrases brèves, [Mme Vuillaume] dit son plan d’éducation. L’honnêteté, d’abord. Pas de jeux dans l’escalier, la petite toujours chez elle, et gardée de près, car les gamines ne pensent qu’au mal. Les portes fermées, les portes closes, jamais de courants d’air, qui apportent les vilaines choses de la rue. Dehors, ne point lâcher la main de l’enfant, l’habituer à tenir les yeux baissés, pour éviter les mauvais spectacles. En fait de religion, pas d’abus, ce qu’il en faut comme frein moral. Puis, quand elle a grandi, prendre des maîtresses, ne pas la mettre dans des pensionnats, où les innocentes se corrompent ; et encore assister aux leçons, veiller à ce qu’elle doit ignorer, cacher les journaux bien entendu, et fermer la bibliothèque8. »

    C’est très explicite : pour survivre, pour devenir une « femme du monde9 », les femmes n’ont d’autre choix que de se marier, de se livrer à une « prostitution décente et permise10 » auprès de leur mari, ce qui contraste finalement peu avec Nana (tome 9). 

    Une fois mariées, elles doivent se soumettre à leurs devoirs conjugaux, cette « abominable corvée11 » à laquelle elles ne peuvent échapper, même si, comme Clotilde, son mari boutonneux la répugne. 

    « L’histoire entière de son mariage [celui de Berthe] revenait, dans ses phrases courtes, lâchées par lambeaux : les trois hivers de chasse à l’ homme, les garçons de tous poils aux bras desquels on la jetait, les insuccès de cette offre de son corps, sur les trottoirs autorisés des salons bourgeois ; puis, ce que les mères enseignent aux filles sans fortune, tout un cours de prostitution décente et permise, les attouchements de la danse, les mains abandonnées derrière une porte, les impudeurs de l’innocence spéculant sur les appétits des niais ; puis, le mari fait un beau soir, comme un homme est fait par une gueuse, le mari raccroché sous un rideau, excité et tombant au piège, dans la fièvre de son désir12. »

    « Quand un homme est brutal, c’est qu’il vous aime, et il y a toujours moyen de le remettre à sa place d’une façon gentille13… »

    Quant aux hommes, ils ne cessent de parler des femmes, qu’ils méprisent pourtant. Tous ces propriétaires, hommes d’affaires et hommes de loi, les veulent vertueuses et chastes, alors qu’eux-mêmes couchent à la moindre occasion. 

    « Et, si vous saviez, c’est poli, c’est frais, ça vous a une peau de fleur, avec des épaules, des cuisses pas maigres du tout, monsieur, rondes et fermes comme des pêches14 ! »

    Les femmes sont « expliquées, retournées, épluchées15 », traitées comme des bouts de viande, alors qu’eux sont moches, repoussants, malades. Certaines choses n’ont pas changé…

    « Vous êtes donc brutal comme les autres hommes, que rien ne satisfait, tant qu’on leur refuse quelque chose16. »

    Il y a ausi Octave lui-même, qui cherche une femme pour se trouver une bonne situation professionnelle, comme Léon avec Mme Dambreville. Octave est un jeune homme séducteur, cajoleur, mais manipulateur et brutal envers les femmes quand il s’agit de mettre en œuvre ses intérêts personnels. Probablement le plus gros queutard de tous !

    Octave trouve une place de commis dans la fameuse boutique de tissus Au bonheur des Dames, dont le succès éclatant et écrasant fera l’objet du tome suivant. Pot-Bouille est donc comme une intrigue préparatoire au Bonheur des dames qui a été écrit juste après !

    « Quand ils se sont craché à la figure, ils se débarbouillent avec, pour faire croire qu'ils sont propres17. »

    Mais, depuis l’escalier de service de cet immeuble cossu, il y a tout un monde que les bourgeois·es ignorent : les bonnes savent tout de la vie de leurs maîtres et maîtresses, elles se racontent tous les ragots. Dans la cour qui donne sur les cuisines des bonnes, c’est toute « une débâcle d’égoût, qui, chaque matin, se déversait là18 ».

    Les bourgeois·es méprisent les gens du peuple et nient toute leur humanité. Iels croient faire leur affaires et assouvir leurs « vices » dans la plus grande discrétion, comme si Adèle, Lisa, Françoise, n’avaient pas d’oreilles et d’yeux pour les observer. Elles ne sont bonnes qu’à cuisiner, faire le ménage — et se faire tirer un coup de temps à autre, sans jamais en assumer les conséquences.

    Mais le plus grand mépris des bonnes vient certainement de M. Gourd, le concierge : il hait profondément les gens de sa classe sociale qui ne s’en sortent pas comme lui. Maintenant qu’il n’a plus à larbiner pour le duc de Vaugelade, il ne se sent plus péter. « Tourmenté d'une rage d’ancien domestique, qui se fait servir à son tour19 », il se permet de traiter les rares ouvrier·ères locataires et Mme Pérou, la femme de ménage, comme des sous-merdes.

    « [L’abbé Mauduit] jetait une fois encore le manteau de la religion sur cette bourgeoisie gâtée, en maître de cérémonie qui drapait le chancre, pour retarder la décomposition finale20. »

    Et enfin, dans tout ça, il y a l’abbé Mauduit et le docteur Juillerat, qui observent cette « bourgeoisie gâtée21 ». L’abbé Mauduit, qui confesse tous ces gens, ne cesse de passer l’éponge sur leurs bassesses et leurs « vices », tandis que le docteur Juillerat, profondément anticlérical et républicain, renouvelle ses attaques contre la bourgeoisie et l’éducation bornée donnée aux jeunes filles.

    « Selon [le docteur Juillerat], la bourgeoisie avait fait son temps ; elle était un obstacle sur le chemin de la révolution ; depuis qu’elle possédait, elle barrait l’avenir, avec plus d’obstination et d'aveuglement que l’ancienne noblesse22. »

    Mon avis

    Pot-Bouille, le tome 10 des Rougon-Macquart, est le pendant de L’Assommoir, qui décrit avec compassion la misère dans un immeuble du quartier populaire de la Goutte d’Or.

    Au contraire, Pot-Bouille se moque ostensiblement de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. Dans ce roman de mœurs (souvent comique, ce qui est peu habituel chez Zola), il décrit leur hypocrisie, leur frilosité, leur quotidien fade et mesquin, leur obsession du pouvoir, de l’argent et de l’héritage. À l’inverse de L’Assommoir, la plupart des personnages sont détestables, et pourtant, comme toujours, j’ai pris un grand plaisir à le lire. C’est tout le talent de Zola !

    Mais, au-delà de la critique acerbe de la bourgeoisie du Second Empire et de la violence des classes, qui sont déjà en soi des sujets capitaux dans l’œuvre de Zola, c’est surtout la description de la violence envers les femmes qui a retenu toute ma attention : les femmes bourgeoises ne peuvent exister que par leur capacité à faire des enfants, et les femmes prolétaires sont exploitées toute leur vie. C’est justement cette dénonciation qui donne à ce roman une dimension particulièrement intéressante.

    Encore une fois, je me suis régalée avec Pot-Bouille ! Pour tout dire, j’ai lu et relu certains passages avec délectation, et pris 20 pages de notes et de citations !

    Du même auteur

    Tome 1, La Fortune des Rougon

    Tome 2, La Curée

    Tome 3, Le Ventre de Paris

    Tome 4, La Conquête de Plassans

    Tome 5, La Faute de l'abbé Mouret

    Tome 6, Son excellence Eugène Rougon

    Tome 7, L'Assommoir

    Tome 8, Une page d'amour

    Lisez aussi

    Irène Némirovsky La Proie

    Irène Némirovsky Le Bal

    Irène Némirovsky Le Maître des âmes

    Jean Meckert Les Coups

    Pot-Bouille

    (tome 10 des Rougon-Macquart)

    Émile Zola

    Préface d'André Fermigier

    Éditions Gallimard

    Collection Folio classique

    2022 (1982 pour le premier dépôt légal)

    592 pages

    8,30 euros

     

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  • Paris 2024 une ville face à la violence olympique Bibliolingus

    Paris 2024

    Une ville face à la violence olympique

    Jade Lindgaard

    Éditions divergences

    2024

     

    Merci aux éditions divergences de m’avoir offert le livre !

     

    Cet été, comme 4 milliards de personnes, vous serez probablement derrière votre écran de télévision pour regarder les Jeux olympiques. Des milliers de caméras seront braquées sur Paris pour célébrer « la beauté de l’effort », « l’esprit de compétition », « la fierté de représenter son pays »… Mais connaissez-vous l’envers du décor ? Quels sont les coûts écologiques, économiques, sociaux et humains du plus grand événement sportif au monde ? Quel est le prix à payer pour les habitant·es de la ville qui accueille les épreuves olympiques, qui n’ont jamais eu voix au chapitre ? Que nous restera-t-il une fois la frénésie passée ? À quatre mois de « Paris 2024 », plongez dans l’enquête menée par la journaliste Jade Lindgaard sur cet « énorme gâchis1 ».

    « L’échéance incontournable de l’été 2024 a empêché de prendre le temps de la discussion2. »

    Les organisateurs (principalement le CIO et la Solideo) promeuvent des Jeux olympiques innovants, écologiques et fédérateurs. Mais qu’en est-il vraiment ? L’enquête de la journaliste Jade Lindgaard retrace la procédure très opaque de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024 et décrit les multiples conflits d’intérêts et désastres qui l’entourent. 

    À commencer par l’absence de concertation démocratique des habitant·es, compte tenu des délais très courts pour ce méga-événement. Et cela pose problème car, contrairement à ce qui a été affirmé, le financement, largement sous-évalué, ne sera pas seulement assuré par les sponsors (Coca-Cola, Allianz, Alibaba, Omega, Toyota, Visa, Carrefour, EDF, Orange…), mais aussi et surtout par l’argent public, celui des contribuables, le nôtre, qui prendra en charge l’énorme dépassement de ce budget !

    « À la tête du CIO dans les années 1990, après avoir été élu et soutien du régime franquiste en Espagne, Juan Antonio Samaranch se lâcha un jour, au faîte de sa gloire et de sa puissance : “Les Jeux olympiques sont plus universels que n’importe quelle religion”3. »

    Or, les JO se dérouleront essentiellement en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres de France. Pour construire le « Village des athlètes », le « Village des médias », ou encore l’Arena Adidas, d’immenses zones urbaines ont été rasées, à l’instar du parc d’activité Rives-de-Seine à Saint-Ouen qui regroupait une vingtaine d’entreprises, du foyer ADEF à Saint-Ouen dans lequel habitaient près de 300 personnes, du squat Unibéton qui hébergeait près de 400 travailleur·ses immigré·es, ou du camp de réfugié·es à Porte de la Chapelle au nord de Paris. En tout, la journaliste parle d’environ 1500 personnes délogées, qui n’ont pas toutes obtenu un relogement digne et adéquat malgré les engagements de l’État.

    « En 2023, dans les derniers mois de construction de l’Arena, des SDF, toxicomanes, réfugié⋅es sans statut, mineurs isolés survivent tant bien que mal dans les interstices de la porte la Chapelle. La “colline du crack”, ancien campement et havre de misère, a été détruite. Mais la pauvreté, l’addiction et l’isolement social rabattent toujours de nouvelles et nouveaux venu⋅es dans ce triangle de misère. On y deale, crie, pisse, dort, tape, vole, gobe. Que deviendront ces personnes une fois le quartier requalifié autour de son nouveau vaisseau olympique ? N’auront-ils pas eux aussi été poussés dehors par la dynamique des JO4 ? »

    Parmi les victimes, il faut aussi compter les ouvriers de ces grands chantiers, qui doivent travailler à une cadence infernale pour respecter l’échéance incontournable de l’été 2024. Le 16 juin 2023, Amara Dioumassy, 51 ans et père de 5 enfants, est décédé sur le chantier de stockage des eaux de pluie visant à rendre la Seine plus propre.

    « L’immobilier des JO, c’est aussi transparent que les arrangements entre Lafarge et Daesh en Syrie5. »

    Au cours de cette immense opération de spéculation immobilière, les promoteurs, avec en tête Eiffage, Vinci et Nexity, s’en sont mis plein les poches, au détriment des PME et des TPE locales. Cette transformation brutale va entraîner la disparition de toute une histoire locale, et provoquer l’accélération de la gentrification : les familles précaires et pauvres sont sommées de débarrasser le plancher pour une population plus aisée et plus blanche. Elles ne pourront même pas assister aux épreuves, compte tenu du prix exorbitant des places (de 25 à 9500 euros la place). Les spectateurices et touristes vont satisfaire l’appétit aiguisé des hôtels, d’AirBnb et des propriétaires d’Ile-de-France, qui annoncent jusqu’à 1300 euros la nuit… 

    « Un fan de sport cryogénisé dans les années 1970 ne reconnaîtrait rien des JO en 2024. La compétition entre champions amateurs, financée tant bien que mal par des villes moyennes et les droits télé, est devenue une rutilante machine à cash. Les olympiades sont devenues “le plus gros événement médiatique et marketing du monde”, selon l’auteur Jules Boykoff, qui y voit moins la marque du néolibéralisme que celle du système capitaliste : “la quintessence du capitalisme de la célébration”6. »

    « Ils prennent les belles choses des pauvres pour les donner aux riches7. » (Dolorès Mikatovic)

    Jade Lindgaard explique que les JO sont une aberration écologique, une « antithèse de la sobriété » 147 Pour construire les bâtiments des JO, 7 hectares du parc George-Valbon à La Courneuve ont été vendus à des promoteurs immobiliers, détruisant plusieurs centaines d’arbres et menaçant la survie des crapauds calamites. Les jardins ouvriers des Vertus à Aubervilliers ont été défendus par une ZAD (à laquelle l’autrice a participé) pour empêcher la construction du solarium d’une piscine d’entraînement qui n’était même pas indispensable pour le bon déroulement des JO !

    Avec la venue de 10500 athlètes, 50000 volontaires et 25000 journalistes, et des 15 millions de touristes attendu·es, les émissions de gaz à effet de serre vont exploser durant plusieurs semaines. Mais c’est la double peine pour les élèves et enseignant·es du groupe scolaire Anatole-France qui sont désormais cerné·es par une double voie d’accès à l’autoroute A86 pour faciliter le déplacement des athlètes…

    Sans compter les transports en commun, déjà saturés en temps normal, qui ne sont pas en capacité d’accueillir tout ce monde. Ainsi, pour faire place nette, nous sommes sommé·es, Francilien·nes et Parisien·nes, de déguerpir ou de rester enfermé·es chez nous le temps des épreuves !

    Mon avis

    En tant que parisienne d’adoption (pour combien de temps, compte tenu du coût de la vie ?), je suis effectivement concernée par la tenue des JO cet été

    Avec cet ouvrage, publié en janvier par les éditions indépendantes Divergences, j’ai appris beaucoup de choses sur l’histoire des JO en général et sur les JO de Paris en particulier ; mais, plus on s’approche de l’échéance, plus la liste des scandales et de foutages de gueule semble s’allonger. Ainsi, je viens d’apprendre que les volontaires doivent trouver elleux-mêmes leur logement sur Paris (une gageure), en plus de travailler bénévolement pendant 3 semaines…

    Le gouvernement français, épris comme toujours de gigantisme et de mégalomanie, a sommé l’ensemble des institutions officielles, associations et entreprises de manifester un enthousiasme inconditionnel et frénétique pour « Paris 2024 ». Mais cet engouement martial est loin d’être unanime, puisque les appels à la grève se multiplient, à commencer par la RATP et la SNCF.

    Quatre mois, c’est le temps qu’il nous reste pour organiser le zbeul…

    Lisez aussi

    Isabelle Baraud-Serfaty Trottoirs ! Une approche économique, historique et flâneuse

    Bouba Touré Notre case est à Saint-Denis 93

    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot Sociologie de Paris

    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot Sociologie de la bourgeoisie

    Paul Ariès Écologie et cultures populaires

    Florence Aubenas Le Quai de Ouistreham

    Julien Brygo et Olivier Cyran Boulots de merde ! Enquête sur l'utilité et la nuisance sociales des métiers

    Jérôme Baschet La Rébellion zapatiste 

    Stephanie McMillan Mort au capitalisme ! Livre de coloriage !

    Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle Une autre fin du monde est possible

    Pablo Servigne, Raphaël Stevens Comment tout peut s'effondrer

     

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    Paris 2024

    Une ville face à la violence olympique

    Jade Lindgaard

    éditions divergences

    2024

    168 pages

    15 euros

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  • les trente noms de la nuit zeyn joukhadar bibliolingus

    Les Trente Noms de la nuit

    Zeyn Joukhadar

    Éditions Rue de l’échiquier

    2022

     

     

    Les Trente Noms de la nuit de Zeyn Joukhadar est un roman probablement sous-estimé, un petit bijou caché sous une couverture que je trouve insignifiante. Et pourtant, ce texte m’a continuellement surprise par son histoire, ses thématiques, sa finesse, sa poésie, sa beauté, sa tristesse et ses détails impressionnants. Une petite bulle sensorielle qui n’a, à mon avis, pas le succès qu’elle mérite.

    « Cinq ans ont passé et le temps n’a guéri aucune blessure1. »

    New York, de nos jours. Le personnage principal, d’origine syrienne, vit dans un logement HLM avec sa grand-mère syrienne. Depuis le décès de sa mère ornithologue, survenu 5 ans auparavant, il galère pour payer le loyer et les médicaments de sa grand-mère. 

    Il raconte la douleur constante de ce deuil qui ne finit pas et les changements qui s’opèrent en lui depuis 5 ans : par petites touches, on comprend qu’il ne se reconnaît pas dans le genre qui lui a été assigné à la naissance.

    « Toute ma vie on m’a appris que la masculinité, c’est les cheveux courts et des chaussures à bout carré, que c’est prendre de la place, élever sa voix. Être doux, c’est être moins homme. Être délicat, rire, faire de l’art, saigner entre les jambes — on m’a appris que tout cela faisait de moi une femme. On m’a appris toute ma vie que danser c’est être vulnérable et que le monde écrase ceux qui sont vulnérables. On m’a appris qu’être invincible et être digne d’amour c’était pareil2»

    « Elle est morte alors qu’elle essayait d’identifier un couple d’oiseaux rares dans la zone. J’ai retrouvé ses carnets dans le placard de Teta3. »

    Un jour, il trouve la force de se plonger dans les affaires de sa défunte mère, et tombe sur le journal intime de Layla Z, une artiste immigrée syrienne du début du XXe siècle que sa mère adorait parce qu’elle réalisait des estampes et des aquatintes d’oiseaux.

    « Que l’art, ou le monde naturel, puisse appartenir à qui que ce soit, c’est une idée qui me met toujours mal à l’aise. Une œuvre n’est pas seulement forgée par l’artiste, mais par toute personne qui interagit avec ; elle appartient un peu à tout le monde. C’est aussi de cette façon qu’on fabrique la vie : avec l’aide de nombreuses mains4. »

    « Imaginons qu’il y ait un tableau ? Si je pouvais le trouver5 ? »

    Seulement, sa mère et l’artiste Laila Z semblent toutes deux avoir vu une espèce rare d’oiseaux, dans le quartier Little Syria de New York, à présent quasiment démoli par la mairie. Pour réhabiliter les mémoires de cette artiste et de sa mère ornithologue, pour protéger cette espèce rare nichée dans ce quartier historique, pour faire son deuil aussi, le personnage principal part sur les traces des œuvres de Laila Z.

    « J’attendais le jour où nos professeurs nous expliqueraient le vol de la terre sur laquelle nous vivions et pourquoi nos livres de classe parlaient des peuples indigènes comme s’ils n’existaient plus et pourquoi tous les livres que nous lisions étaient écrits par des hommes blancs morts. J’avais la certitude que les brutes de l’école seraient punies, que la police finirait par cesser de contrôler les parents de mes copains noirs, tard le soir, et que mes camarades de classe qui avaient une tante ou des grands-parents sans-papiers finiraient un jour par ne plus avoir à s’inquiéter qu’ils leur soient enlevés. “Allah est celui qui supprime les obstacles.” Mais après l’incendie, après ton enterrement, après que la police a ignoré les menaces que tu avais reçues… j’avais déjà compris depuis longtemps, alors, qui avait construit ce système et pour qui, et j’avais depuis longtemps abandonné mes idées de justice6. »

    « C’est le rêve qui me hante sans relâche depuis mon premier saignement : pouvoir exister hors de moi-même, effacer ce qui cloche en moi7. »

    À travers cette quête, le personnage principal change. Ses cheveux, il finit par les couper. Son prénom, il finit par le changer. Il n’est pas la petite fille que sa mère a mis au monde. Comment le dire à ses ami·es ? Sa grand-mère l’acceptera-t-il comme il est ?

    Mon avis

    Je ne voulais pas lire quelque chose de triste. De ce roman, je savais juste qu’il était publié par Rue de l’échiquier (l’une des maisons d’édition indépendantes pour lesquelles je travaille), qu’il parlait d’un personnage transgenre (ce qui est suffisamment rare pour que je me jette dessus), et de l’immigration syrienne aux États-Unis (j’ai justement corrigé un livre sur la Syrie l'an dernier). 

    Mais, dès les premières pages, j’ai été saisie par des passages si poétiques, si fins, composés d’images, de sensations belles et tristes, que j’ai lu pendant un moment. Puis, le lendemain, j’ai repris ma lecture sans grande motivation, avant d’être à nouveau saisie par des passages impressionnants, divisés entre deux narrations qui s’entrecroisent et s’alimentent jusqu’au dénouement. Finalement, et j’en suis la première surprise, je l’ai lu en quelques jours, happée malgré moi.

    À travers cette quête de vérité, Les Trente Noms de la nuit embrasse des thèmes divers et pourtant liés, embrassés et contenus dans un même élan : la transidentité, l’homosexualité et le rapport au corps réifié, haï, violenté par les hommes, verrouillé et libéré ; l’invisibilisation des femmes dans l’art et les sciences ; le deuil qui brouille les frontières entre le réel et le monde des âmes ; la foi et la tradition ; la pauvreté et l’entraide ; l’immigration syrienne, le racisme états-unien et le colonialisme ;  la préservation des oiseaux et de leur biodiversité.

    Une lecture rare, comme son personnage principal. Une petite bulle sensorielle malheureusement peu remarquée à sa parution, et que je vous invite à découvrir !

    Lisez aussi

    Littérature

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Martin Winckler Le Chœur des femmes

    Russell Banks American darling

    Karin Serres Monde sans oiseaux

    Essais

    Julia Serano Manifeste d'une femme trans

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    Illustrés

    Cualli Carnago L’Histoire d’une huître

    Léa Castor Corps à coeur Coeur à corps 

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    Les Trente Noms de la nuit

    (The Thirty Names of Night)

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nino S. Dufour

    Zeyn Joukhadar

    Éditions Rue de l’échiquier

    2022

    352 pages

    24 euros

    (Livre offert par la maison d’édition)

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