• marseille trop puissante margaux mazellier bibliolingus concours

    Marseille trop puissante

    Margaux Mazellier

    Hors d’atteinte

    2024

     

    Merci à la maison d’édition de m’avoir offert cet ouvrage : un exemplaire est à gagner sur Instagram pour célébrer les 1000 abonné·es !

    Marseille trop puissante réunit une trentaine de témoignages de femmes cis, trans, non binaires, hétéros, lesbiennes, bi, queer, blanches, racisées, handicapées qui ont, d’une manière ou d’une autre, participé aux luttes féministes de Marseille, des années 1970 à aujourd’hui. Elles ont entre 16 et 93 ans et racontent leur parcours personnel et professionnel, leur engagement à travers des associations ou des collectifs. Ce livre, écrit par la journaliste Margaux Mazellier et publié par les éditions indépendantes Hors d’atteinte, est particulièrement sororal, émouvant, inspirant, et met l’accent sur ce qui nous manque : la transmission de nos luttes à travers les décennies. Un ouvrage généreux qui saura vous remonter le moral !

    « Aujourd’hui, les jeunes ont l’impression que ce qu’elles font est pionnier, mais on l’avait déjà fait avant et d’autres l’avaient fait encore avant nous. C’est juste qu’elles ne le savent pas1. » (Patricia)

    Pourquoi Anne, âgée de 45 ans, a-t-elle l’impression de faire partie du « ventre mou de l’histoire féministe2 » ? Pourquoi certaines féministes des années 1970 ont-elles l’impression de vivre une fracture générationnelle avec la mobilisation actuelle ? L’ensemble de ces portraits met à nu l’une des difficultés du mouvement féministe : la transmission de nos revendications, de nos théories et de nos pratiques de lutte

    « À la fatigue s’ajoute une sorte d’aigreur, une impression de s’être battue pour cette génération “qui n’a pas l’air de s’inscrire dans aucune histoire, qui ne sait pas d’où elle part et qui n’a parfois pas l’air de savoir ce qu’elle nous doit.”3 » (Marie-Claude)

    C’est un fait, chaque génération de femmes, qu’elles soient cis, trans, non binaires, hétéros, lesbiennes, bi, queer, blanches, racisées, handicapées, entre dans le mouvement féministe de différentes manières, pour des raisons diverses, sans toujours connaître ce que les générations d’avant ont traversé. À 20, 30, 40 ans, on peut tout ignorer des luttes menées par les femmes des années 1970, comme celle de Julia qui est devenue en 1977 l’une des premières conseillères diplômées du Planning familial de Marseille, ou encore Marie-Claude qui a milité au sein du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) dans les années 1970.

    « Les lesbiennes ont souvent le courage de faire ce que les femmes hétéros, plus timorées, n’osent pas faire. À l’époque, il arrivait que les femmes hétéros, par peur de se faire traiter de gouines, préfèrent se ranger du côté de l’oppresseur. La peur de l’anormalité était encore trop grande. Et personne ne parlait d’homosexualité, c’était caché4. » (Patricia)

    « On s’est réapproprié ce truc de mecs cis qui vont rejoindre leurs potes pour jouer au foot5. » (Matis)

    Les femmes qui témoignent reviennent sur leur parcours, leurs galères, l’isolement, les difficultés et les obstacles rencontrés. Elles racontent ce qu’elles ont recherché, ce dont elles ont manqué, comment elles ont commencé à s’engager au sein de collectifs, associations et organisations

    Elles n’éludent pas les clivages idéologiques, la transphobie, le racisme, le validisme. Comment trouver sa place dans un groupe féministe hétéro, blanc, bourgeois, valide ? Comment mettre en place des espaces sûrs pour toustes et des moyens d’action efficaces ? Comment parvenir à prendre confiance en soi, se définir, s’exprimer, se protéger, s’émanciper, sociabiliser, s’organiser ?

    « On pense de nous qu’on est déficient·es, qu’on doit être réparé·es. Mais non ! C’est la société qui crée les normes et les binarités et, dans ce cas, les catégories valide et invalide, digne et indigne. Moi, je suis fière d’être sourde. J’ai une vie différente, une vision du monde différente. Tout le monde pense que c’est à moi de m’adapter, mais je ne vois pas pourquoi je devrais toujours faire l’effort pour l’autre6. » (Mélanie)

    La force de cet ouvrage, c’est de montrer que la lutte passe par la conquête des espaces interdits, à l’instar du foot, tout un symbole à Marseille. La filiation est évidente entre les Cagoles de l’OM qui, dans les années 1990, ont occupé le virage nord du stade Vélodrome, et le Drama Queer Football Club, cofondé par Matis en 2020, qui a conquis les terrains de foot. La généalogie s’inscrit aussi dans le collectif La Frapppe, fondé en 2019 par Camille, en mixité choisie pour rendre la boxe inclusive, accessible, fédératrice.

    « L’assurance qu’on gagne et qu’on se transmet sur le terrain de foot, on l’emporte avec nous en dehors du stade. Quand on sort, on parle fort, on occupe l’espace. On a très peu de représentations de “bande de meufs” dans l’espace public et je trouve ça hyper fort7. » (Matis)

    « On était trois générations de femmes dans la même pièce : c’était très émouvant8. » (Amina K.)

    Leurs histoires et leurs mots divergent pour parler d’elles et de leurs luttes, mais toutes ont au moins deux choses en commun : au début de l’entretien, elles pensent n’avoir rien à raconter à la journaliste Margaux Mazellier, mais à la fin, elles nous secouent par leur courage, leur sensibilité, leur vulnérabilité.

    « Moi, je m’habille modestement, mais je ne supporterais pas qu’on critique une fille qui s’habille trop court. SI on s’attaque à une femme parce qu’elle est “femme», je me sentirais tout autant blessée, même si on est très différentes l’une de l’autre. On doit être libres de choisir pour nous-mêmes. Sans cette solidarité féminine, qui va nous protéger9 ? » (Hanen, 16 ans)

    Mon avis

    Aucun droit n’est conquis pour toujours, même s’il figure dans la constitution d’un pays. Le partage et la transmission sont vitaux pour que le mouvement se structure et devienne une vraie force politique.

    Cette généalogie des luttes marseillaises, publiée par les éditions indépendantes Hors d’atteinte, est un shot de sororité, de générosité et d’espoir !

    « On sait qu’autour de nous, le monde est chaotique, qu’il y a trop de choses à changer. Mais, en même temps, il faut garder cette foi immuable et invincible qu’on va pouvoir changer des choses en s’organisant collectivement10. » (Lily)

    Lisez aussi

    Récits

    Dorothy Allison Deux ou trois choses dont je suis sûre

    Maya Angelou Tant que je serai noire

    Anonyme Une femme à Berlin

    Gabrielle Deydier On ne naît pas grosse

    Mika Etchébéhère Ma guerre d'Espagne à moi

    Emma Goldman Vivre ma vie

    Assata Shakur Assata, une autobiographie

    Essais

    Davy Borde Tirons la langue

    Nora Bouazzouni Faiminisme. Quand le spécisme passe à table

    Azélie Fayolle Des femmes et du style. Pour un feminist gaze

    Pauline Harmange Moi les hommes, je les déteste

    Coral Herrera Gomez Révolution amoureuse

    Françoise Héritier Masculin/Féminin 1

    Mathilde Larrère Rage against the machisme

    Rozenn Le Carboulec Les Humilié·es

    Pauline Le Gall Utopies féministes sur nos écrans

    Laurène Levy Mes trompes, mon choix !

    Louise Morel Comment devenir lesbienne en dix étapes

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française

    Julia Serano Manifeste d'une femme trans

    Élise Thiébaut Ceci est mon sang

    Françoise Vergès Le Ventre des femmes

    Éliane Viennot Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin !

    Littérature

    Virginie Despentes Baise-moi

    Dorothy Allison L'Histoire de Bone

    Dorothy Allison Retour à Cayro (200e chronique)

    Mariama Bâ Une si longue lettre 

    Amanda Eyre Ward Le Ciel tout autour

    Zakiya Dalila Harris Black Girl

    Toni Morrison Beloved

    Leila Mottley Arpenter la nuit

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Futhi Ntshingila Enrage contre la mort de la lumière

    Elsa Osorio La Capitana

    Heloneida Studart Le Bourreau

    Heloneida Studart Le Cantique de Meméia

    Martin Winckler Le Chœur des femmes

    Illustrés

    Cualli Carnago L’Histoire d’une huître

    Léa Castor Corps à cœur Cœur à corps 

    Claire Duplan Camel Joe 

    Marseille trop puissante

    50 ans de féminisme dans la ville la plus rebelle de France

    Margaux Mazellier

    Editions Hors d’atteinte

    2024

    304 pages

    17 euros

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Concours sur Instagram !

    1. Pages 75-76. -2. Page 67. -3. Page 50. -4. Page 69. -5. Page 207. -6. Page 244. -7. Page 207. -8. Page 168. -9. Page 277. -10. Page 265.

    Partager via Gmail Pin It

    1 commentaire
  • Rentrée littéraire 2022

    arpenter la nuit leila mottley bibliolingus

    Arpenter la nuit

    Leila Mottley

    Éditions Albin Michel

    2023

     

    Traumavertissement : violences sexistes et sexuelles, racisme

    « Je voulais juste une famille. Je voulais juste qu’il y ait un truc qui fonctionne, un truc qui soit à moi1. »

    Kiara, une jeune fille noire de 17 ans, vit avec son frère Marcus âgé de deux ans de plus dans la ville d’Oakland, en Californie. À cause de la pauvreté, de la mort, de la prison, iels sont livré·es à elleux-mêmes.

    « J’ai un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire ce qu’il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et tout son bleu2. »

    Arpenter la nuit commence lorsque le loyer double du jour au lendemain. Au bord du gouffre, Kiara supplie son frère Marcus de trouver du boulot pour qu’iels ne se retrouvent pas sous les ponts. Mais Marcus, fuyant et obstiné, pétri de chagrin et de rage, tente de percer dans le rap pour faire fortune et les sauver.

    Kiara, plus terre à terre, tente de trouver un petit job. Les semaines passent, ponctuées des visites angoissantes du proprio qui réclame son loyer, et Kiara ne se fait embaucher nulle part.

    Kiara prend sous son aile Trevor, son voisin de 9 ans, lui aussi livré à lui-même depuis que sa mère addict au crack est partie sans laisser d’adresse. Elle trouve du répit chez Alé, son amie butch et skateuse qui l’accueille dans le resto de ses parents.

    Mais Kiara finit par se faire « attraper par la rue3 » lorsqu’un type la prend pour une prostituée dans le bar où elle était venue demander du travail. Elle commence à se prostituer pour payer le loyer, pour sauver Marcus et Trevor.

    « Maintenant que j’ai couché une fois, je peux le refaire, c’est rien qu’un corps, voilà ce que je me répète. Rien que de la peau. Pas besoin que je me prenne la tête. C’est juste histoire de régler les loyers en retard4. »

    Mon avis

    Arpenter la nuit est une déflagration. J’ai été happée et envoûtée par cette lecture ! À travers l’histoire de Kiara, Leila Mottley, romancière et poétesse états-unienne noire née en 2002, fait entendre la voix des personnes qu’on n'écoute pas, qui sont abandonnées, détruites, tuées par le système capitaliste, raciste, patriarcal et corrompu.

    On pourrait penser que l’autrice s’est acharnée sur son personnage. Mais, pour une jeune fille mineure, sexisée, racisée, queer, précaire, ce n’est apparemment qu’une question de temps avant l’écrasement final. Sans famille ni soutien de l’État, il suffit d’un enchaînement de circonstances et de galères : le chômage, l’addiction, la rue, le deal, le meurtre, la prison, la maladie, le décès

    Avec une langue captivante, brute, et empathique, Kiara raconte sa solitude, son lent pourrissement, mais aussi ses envies, son amour pour Alé, qui « a toujours eu des rêves immenses et une petite vie5 », son instinct maternel pour le petit Trevor, le soleil de sa vie, et pour son frère Marcus, sa boussole brisée. Il y a, dans la langueur de tout le bleu de Kiara, sa copine Shauna, devenue maman à 17 ans, l’hypnotique Camila qui guide ses premiers pas sur le trottoir, Marsha, la première femme blanche qu’elle voit de près, mais aussi les flics qui « se croient invincibles6 » dans leur uniforme.

    Arpenter la nuit est un roman intime, puissant, engagé, féministe, qui nous documente autant qu’il nous tourmente. À partir d’un scandale qui a secoué la ville d’Okland en 2015 sous Obama, l’autrice s’inscrit dans le mouvement Black Lives Matter en participant à rendre visibles les femmes afro-américaines

    Ce roman devrait aussi nous mettre en garde : pourquoi Arpenter la nuit a-t-il rencontré un tel succès en France ? Sommes-nous séduit·es parce qu’on y voit une préfiguration des conséquences à long terme du macronisme ? parce qu’on se rassure en se disant que c’est pire aux États-Unis ? parce qu’on se délecte du voyeurisme ? parce qu’on est subjugué·es par le talent d’une si jeune autrice ? Pourquoi est-il une catharsis à nous, lecteurices français·es ? Qu’est-ce que ça dit de nous-mêmes, et de notre société à laquelle on ne peut/parvient pas véritablement échapper ? Dis-moi en commentaire ce que t’en penses !

    Lisez aussi

    Littérature

    Axl Cendres Dysfonctionnelle

    Jeanne Cordelier La Dérobade

    Dorothy Allison L'Histoire de Bone

    Dorothy Allison Retour à Cayro (200e chronique)

    Virginie Despentes Baise-moi

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Anahita Ettehadi Sur le dos de la main gauche

    Jenni Fagan La Sauvage

    Richard Krawiec Dandy

    Récits

    Dorothy Allison Deux ou trois choses dont je suis sûre

    Essais

    Virginie Despentes King Kong Théorie

    James Baldwin Retour dans l’œil du cyclone

    Didier Fassin La Force de l'ordre

    Mathieu Rigouste La Domination policière

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    Louise Morel Comment devenir lesbienne en dix étapes

    Julia Serano Manifeste d'une femme trans

    Azélie Fayolle Des femmes et du style. Pour un feminist gaze

    Pauline Le Gall Utopies féministes sur nos écrans

    Illustrés

    Cualli Carnago L’Histoire d’une huître

    Léa Castor Corps à coeur Coeur à corps 

    Arpenter la nuit

    (Nightcrawling)

    Traduit de l'américain par Pauline Loquin

    Leila Mottley

    Éditions Albin Michel

    Collection Terres d'Amérique

    2022

    416 pages

    21,90 euros

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Suivez-moi sur Instagram !

    1. Page 262. -2. Page 138. -3. Page 159. -4. Page 70. -5. Page 101. -6. Page 147.

    Partager via Gmail Pin It

    2 commentaires
  • Coucou !

    À l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteurice le 23 avril, je vous propose une sélection de 8 ouvrages pour une édition indépendante !

    1. L’histoire du livre

    Une histoire de l'édition contemporaine Elisabeth Parinet Bibliolingus   Une autre histoire de l'édition française Jean-Yves Mollier Bibliolingus  
    Lire le résumé. Lire le résumé.  

    2. L’indépendance face à Hachette et Editis

    L'édition sans éditeurs André Schiffrin Bibliolingus    La trahison des éditeurs Thierry Discepolo Bibliolingus
    Voir ma chronique.   Voir ma chronique.

    3. Enjeux et pratiques de l’édition indépendante

    pour aboutir à un livre eric hazan bibliolingus   L'édition indépendante critique Sophie Noel Bibliolingus
    Lire le résumé.   Voir ma chronique de la première édition (2012).

    4. La précarité dans l’édition

    les nouveaux intellos précaires rambach bibliolingus     correcteurs et correctrices entre prestige et précarité guillaume goutte bibliolingus
    Voir ma chronique. Voir ma chronique.

     

    Est-ce que vous en avez lu dans cette sélection ? Vous en conseilleriez d’autres ?

     

    Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !

    Suivez-moi sur Instagram !

    Partager via Gmail Pin It

    2 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires