• vous vouliez ma chaleur vous aurez mon feu bibliolingus

    Rentrée littéraire 2024

    Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu

    Paulo Higgins

    Éditions Hors d’atteinte

    2024

     

    Merci à la maison d’édition de m’avoir offert cet ouvrage !

     

    Maintenant que Mario a décidé de ne pas mourir ni de se détruire, comment vivre ?

    « La sobriété a quand même fini par me faire comprendre que tout passait, même le pire1. »

    Mario, un jeune marseillais de 31 ans, se rend quelques jours à Paris, où il a vécu. Il revient dans son ancien quartier, arpente ses squares et ses bars, atterrit devant l’appart de son ex amant dont la relation était toxique. 

    Ce séjour est une sorte d’étape dans son cheminement personnel pour mettre fin à ses dépendances : cela fait déjà quelques mois qu’il a arrêté de boire de l’alcool, mais d’autres addictions lui pourrissent la vie, comme la dépendance affective, les relations sur GrindR, son rapport avec la masculinité, la violence et l’autorité.

    « Ce n’est peut-être pas très joli de se désigner soi-même comme monstre, mais quand toute la société nous le fait ressentir, comment ne pas en devenir un2 ? »

    On se glisse dans la peau de ce jeune homme trans pauvre et précaire, qui doit vivre avec la mort de nombre de ses ami·es trans, queer et racisé·es. Depuis sa transition 8 ans auparavant, Mario porte un regard nouveau sur les hommes, leur violence, sur la masculinité cis gay qui est parfois plus toxique et sexiste que celle des hommes hétéros.

    « Au fond, le genre, c’est comme la matrice : c’est invisible, insondable, indéboulonnable. Il est là, il nous étouffe tous et il assassine mes amis3. »

    Avec ses mots bruts et pénétrants, Mario montre l’envers d’une société hétérocisnormée, peuplée de personnes « hétérosociales », comme il les appelle, qui « promènent leur légitimité dans la rue4 », d’hommes qui se croient seuls au monde dans l’espace public, de femmes hétéras blanches dont le regard est devenu plus acrimonieux depuis qu’il a transitionné. Mais face à tout ça, il convoque sa « famille choisie » comme un véritable rempart. 

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    « Je ne veux pas être le poil à gratter du lit hétérosexuel ni le corps fascinant qui dérange mais qu’on rêve de baiser. C’est aussi ça l’assignation à la déviance, je ne suis jamais sûr de ce que je choisis et souvent en train de me demander ce qu’on m’impose5. »

    Dans son quotidien, Mario est souvent objectifié, en permanence conscient de ce qu’il renvoie, de ce qu’on projette sur lui, de sa double « assignation à la déviance6 » parce qu’il est trans et gay. Comment se construire sans transmission ni modèles d’hommes trans âgés ? Comment peut-il prendre soin de lui quand on on lui a toujours appris à suivre le désir des autres ?

    Mon avis

    Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu de Paulo Higgins peut paraître très sombre au premier abord, mais ce n’est pas du tout ce que j’ai ressenti. Au fil des pages, je n’ai jamais cessé de voir la lumière dans les pensées de Mario, la détermination vulnérable mais tenace malgré la transphobie, l’homophobie, la stigmatisation, l’autodestruction et la honte. Comme Mario le dit si bien, il n’a pas choisi d’être courageux, il ne fait que chercher à survivre au sein d’une société hétérocisnormée. À chaque page, je voulais lui souhaiter de parvenir à prendre soin de lui, un souhait qui est cathartique aussi bien pour lui que pour nous.

    Instantanément, ses phrases courtes, directes, saccadées, entrecoupées de lignes blanches, qui entrelacent le présent resserré dans un laps de temps très court au fleuve de souvenirs et de pensées de Mario, m’ont happée et immergée. J’ai senti que je tenais un texte rare et précieux entre les mains, si bien que je l’ai lu en seulement 4 jours !

    Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu, publié par les éditions indépendantes Hors d’atteinte, porte une voix essentielle sur les concepts de normalité et de déviance qui génèrent des violences hétérocisgenre, racistes, classistes. 

    Pour cette rentrée littéraire, voilà un premier roman intime, puissant, lumineux, qui appelle à cultiver notre care aussi bien individuel que communautaire, un domaine que connaît Paulo Higgins avec son travail dans la santé communautaire et ses ateliers de prévention en santé sexuelle et en addictologie.

    Lisez aussi

    Littérature

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Zeyn Joukhadar Les Trente Noms de la nuit

    Leila Mottley Arpenter la nuit

    Essais

    Louise Morel Comment devenir lesbienne en dix étapes

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    Rozenn Le Carboulec Les Humilié·es

    Pauline Harmange Moi les hommes, je les déteste

    Virginie Despentes Baise-moi

    Récits

    Dorothy Allison Deux ou trois choses dont je suis sûre

    Jeanne Cordelier La Dérobade

    Illustrés

    Cualli Carnago L’Histoire d’une huître

    Léa Castor Corps à cœur Cœur à corps 

    Claire Duplan Camel Joe

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    Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu

    Paulo Higgins

    Éditions Hors d’atteinte

    2024

    240 pages

    18 euros

     

    1. Page 146. -2. Page 31. -3. Page 116. -4. Page 184. -5. Page 104. -6. Ibid.

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  • la petite communiste qui ne souriait jamais lola lafon bibliolingus

    La petite communiste qui ne souriait jamais

    Lola Lafon

    Editions Actes sud

    2014

     

    Traumavertissement : TCA

     

    Alors que Nadia Comaneci vient de porter la flamme olympique des Jeux olympiques de Paris 2024, je me suis plongée dans la lecture de La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon. Ce romn raconte l’histoire de la célèbre gymnaste roumaine qui a révolutionné la pratique de la gymnastique et cristallisé des enjeux féministes et idéologiques.

    « [...] elle s’élève au-dessus des lois, des règles et des certitudes, une machine poétique sublime qui détraque tout1. »

    1976, Jeux olympiques de Montréal. Devant les caméras du monde entier, la gymnaste roumaine Nadia Comaneci provoque une déflagration en obtenant la médaille d’or pour les barres asymétriques et la poutre.

    La jeune fille, âgée de 14 ans seulement, obtient le premier 10 de l’histoire des JO. Comme une machine implacable, elle évolue autour des barres asymétriques sans peur, sans aspérités, sans odeur ni transpiration. La « Lolita olympique2 » est parfaite, jusqu’à l’effacement de son corps.

    En 90 secondes, elle rend obsolètes toutes ses concurrentes âgées de 20 ans qui, avec leurs fesses, leurs seins et leurs hanches, exécutent des figures lourdes et disgracieuses.

    En 90 secondes, son corps enfantin, compact, mince, léger subjugue des millions de téléspectateurices et attire les pires commentaires sexistes et pornographiques des journalistes. Elle a « ravagé le joli chemin rétréci qu’on réserve aux petites filles3 » en Roumanie et fasciné des millions de petites filles à travers le monde qui veulent elles aussi grimper aux arbres et s’affamer pour lui ressembler.

    « Aujourd’hui, la Nadia, elle a dix-huit ans, elle porte un soutien-gorge et doit se raser les aisselles» (The Guardian, juillet 1980)

    La petite Nadia, qui a commencé la gymnastique à 6 ans, suit un entraînement brutal dans une école financée par le régime dictatorial de Ceausescu. Elle doit sa performance à la combinaison d’un affamement méthodique qui ne peut la mener qu’aux troubles des conduites alimentaires (TCA) et d’un sur-entraînement qui provoque inévitablement des blessures. En pleine guerre froide, on s’empresse de dénoncer l’exploitation de l’Est, ces « petites filles bien dressées5 », mais très vite les écoles états-uniennes forment leurs athlètes avec cette discipline de fer... 

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    Après l’exploit de 1976, la « petite fée communiste6 » est scrutée par les journalistes et les commentateurs du monde entier, son corps devient une obsession quasi pornographique. Lorsqu’elle réapparaît aux championnats d’Europe, du monde, puis aux JO de Moscou en 1980, ils saccagent sur la place publique son corps devenu pubère. L’icône exceptionnelle est périmée, jetée du piédestal, renvoyée à sa condition de femme banale et impure.

    « Nadia, dès 1975, est-elle une simple citoyenne roumaine ou est-elle déjà devenue une parcelle de drapeau, une histoire en cours d’écriture, une arme nationale8 ? »

    Femme, athlète et roumaine, Nadia Comaneci se situe au cœur des enjeux féministes et idéologiques. Tour à tour victime, outil de propagande durant la guerre froide, actrice de son exploitation, Nadia Comaneci est sacrée « Héroïne du travail socialiste » et « Enfant nouvelle du progrès9 » par Ceausescu, et traitée de « monstre », de « grosse vache10 » par son entraîneur Béla Károlyi maintenant qu’elle a atteint la puberté, la « Maladie11 ».

    Mon avis

    La lecture de La petite communiste qui ne souriait jamais (paru en 2014), tombe à point nommé (les hasards d'une déambulation à la bibliothèque), puisque Nadia Comaneci a porté la flamme olympique pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris ! 

    Même si j’ai trouvé le style un peu ardu, mélangeant les points de vue dans un discours indirect libre parfois confus, j’ai été saisie par la manière dont la narratrice décrit le contrôle du corps féminin ; les regards malsains des journalistes sur ces « Bébés gymnastes12 » ; « l’arrogance occidentale13 » face à la société roumaine, l’interdiction de l’avortement et de la contraception en Roumanie en 1966. 

    La manière dont elle raconte la fin de la Roumanie communiste totalitaire sous Ceausescu et son passage au libéralisme m’a beaucoup fait penser à La fin de l’Homme rouge de Svetlana Alexievitch (que j’adore).

    Cette lecture captivante, instructive, qui mêle enquête et fiction, m’a appris plein de choses sur l’univers de la gymnastique, comme l’histoire tragique de l’athlète soviétique Elena Mukhina (1960-2006), qui est devenue paralysée à la suite d’une chute.

     

    Lisez aussi

    Jade Lindgaard Paris 2024. Une ville face à la violence olympique

    Svetlana Alexievitch La fin de l’Homme rouge

    Françoise Vergès Le Ventre des femmes

    Nora Bouazzouni Faiminisme. Quand le spécisme passe à table

    Mona Chollet Beauté fatale

     

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    La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon

    Lola Lafon

    Editions Actes sud

    collection Babel

    2014

    320 pages

    9,20 euros

     

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  • la vie secrète des animaux Peter Wohlleben Bibliolingus

    La vie secrète des animaux

    Peter Wohlleben

    Les Arènes

    2018



    Peter Wohlleben, qui gère une forêt écologique en Allemagne, nous livre quelques faits et études sur le comportement des animaux et des insectes. Éprouvent-ils de la compassion ? Savent-ils mentir ? Un ouvrage instructif, composé de courts chapitres à picorer, comme une invitation à porter un regard antispéciste sur ceux que la société méprise et exploite.

    « Nous ne saurons jamais si les animaux ressentent la peur, le chagrin, la joie ou le bonheur de la même manière que nous1 ».

    À travers une quarantaine de très courts chapitres, Peter Wohlleben met en avant les comportements et capacités de certaines espèces animales, des abeilles aux ours, en passant par les pigeons, et même les blobs ! Les animaux éprouvent-ils de l’amour ou le chagrin du deuil ? Peuvent-ils voler ou mentir, avoir honte ou regretter, se souvenir ou rêver ?

    C’est ainsi qu’on apprend que les sangliers savent reconnaître de nombreux membres de leur famille sur plusieurs générations, que les coqs peuvent manipuler les poules pour leur sauter dessus, que les grives litornes se défendent en groupe contre les attaques de la corneille noire, que le renard se fait passer pour mort pour gober le corvidé qui s’approche…

    « S’il se met à faire très froid, les insectes [les abeilles] se blottissent les uns contre les autres pour former une grappe. C’est en son centre qu’il fait le plus chaud : c’est l’endroit le plus sûr ‒ et c’est évidemment là que doit se trouver la reine. Qu’en est-il des autres abeilles, celles qui se trouvent à la périphérie de la grappe ? Quand il fait moins de 10°C à l’extérieur, elles mourraient de froid en quelques heures. Alors, des congénères de l’intérieur viennent aimablement les remplacer, pour qu’elles puissent à leur tour aller se réchauffer au cœur de la grappe grouillante2. »

    Mon avis

    La vie secrète des animaux est un ouvrage passionnant qui se lit petit à petit, sur les temps de trajet, dans une salle d’attente, comme une lente imprégnation du monde animal. J’ai lu avec plaisir ces études scientifiques et récits éthologiques, même si je regrette que l’auteur s’oppose assez mollement à l’élevage intensif et à la chasse.

    L’exploitation animale est aux fondements de la société capitaliste, patriarcale, colonialiste, validiste et écocidaire, comme je l’ai montré dans une dizaine de chroniques sur Bibliolingus. Avec la déforestation et la pollution des eaux, des sols et de l’air, le nombre d’animaux non domestiqués et leurs habitats ne cessent de se réduire.

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    « La nature n’est pas un meuble à casiers. Il n’existe pas d’espèces fondamentalement bonnes ou mauvaises, comme nous l’avons déjà vu à propos de l’écureuil. il est cependant bien plus facile à ce dernier qu’à la tique d’éveiller notre compassion ou, au moins, notre intérêt. Et pourtant, cette minuscule créature repoussante a, elle aussi, un ressenti, qu’il est possible de prouver empiriquement, du moins en ce qui concerne les sensations toutes simples comme la faim3. »

    Il s’agit de faire un pas de côté le temps de cette lecture, d’arrêter de voir les animaux de notre point de vue, de les catégoriser selon leur degré d’« utilité » ou d’« intelligence ». Il s’agit de les observer et de tenter de les comprendre pour ce qu’ils sont : des vies sensibles et sentientes, qui méritent d’être vécues et respectées. Les animaux ne sont pas « juste des machines agissant, si ce n’est sur simple pression d’un bouton, sous la seule pression des hormones4 ».

    Le point fort de cet ouvrage, c’est de montrer que l’exploitation animale repose précisément sur le déni du droit à vivre des animaux. Selon l’association L214 que je soutiens depuis des années, chaque jour en France, 3,2 millions d’animaux d’élevage sont tués. Par ailleurs, d'après l’ONU, l’élevage est responsable de 12 % des émissions humaines de gaz à effet de serre, sans parler des maladies liées à la consommation de viande (cancer, maladie cardio-vasculaire).

    Certain·es parmi vous le savent, je suis végane depuis 2017, mais le véganisme n’est que la face la plus visible de l’antispécisme. J’aimerais que ce livre soit un déclic pour toutes les personnes qui continuent à manger des animaux (même élevés en plein air), à consommer du lait et du miel, à porter du cuir et de la laine, à aller au zoo, à acheter des animaux de race, ou à pratiquer la chasse. Par petits pas, individuels et collectifs, on peut avancer vers un monde plus respectueux de tous et toutes, mais aussi plus sain et écologique.

    Lisez aussi

    Essais

    Nora Bouazzouni Faiminisme. Quand le spécisme passe à table

    Aymeric Caron Antispéciste

    Martin Page Les animaux ne sont pas comestibles

    Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ?

    Peter Singer La Libération animale

    Jessica Serra Dans la tête d’un chat

    Ophélie Véron Planète végane

    Littérature

    Upton Sinclair La Jungle

    Jeunesse

    Ruby Roth Ne nous mangez pas !

     

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    La vie secrète des animaux

    Traduit de l’allemand par Lise Deschamps

    Peter Wohlleben

    Les Arènes

    2018

    388 pages

    20,90 €

    1. Page 245. -2. Page 81. 3- Pages 76-77. -4. Page 253.

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