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    Tels des astres éteints

    Léonora Miano

    Éditions Plon

    2008

     

    En un mot

    Léonora Miano met en scène trois personnages qui amènent à réfléchir sur l’identité noire et son émancipation post-coloniale, le militantisme et la diaspora : Tels des astres éteints est un roman incisif, nuancé, lucide, instructif, d’une autrice qui m’a totalement conquise. Léonora Miano est pour moi un contrepoids à toutes les bêtises qu’on peut entendre à l’heure des crispations identitaires, politiques, religieuses.

    « Les Kémites d’aujourd’hui étaient un peuple mort, un peuple privé de langue, d’histoire1. »

    Amok, Shrapnel et Amandla vivent à Paris. Tous trois ont des parcours bien différents, puisque Amok et Shrapnel sont nés en Afrique, probablement au Cameroun, et Amandla vient d’une île française, mais ils partagent leur couleur de peau noire.

    Shrapnel se rend régulièrement aux réunions de la Fraternité atonienne, un mouvement noir identitaire qui vise à réhabiliter les Noirs, les « Kémites », les Africains à leurs propres yeux, après des siècles de colonialisme et d’humiliation.

    Lorsque Shrapnel invite son ami Amok à l’une de ces réunions, ils y rencontrent Amandla qui milite pour la cause depuis longtemps. C’est principalement autour de la Fraternité atonienne que se construit le roman : quelle est, à chacun-e, leur vision de la couleur de peau, de l’Afrique, de leurs origines ? Comment réhabiliter l’estime d’un peuple bafoué depuis des siècles ? Faut-il demander réparation pour les injustices commises ? Pour quelles raisons est-on militant ? Comment dépasser ses origines pour se construire ?

    « Si le Nord s’était permis de cracher à la face du monde, c’était parce qu’il le faisait tous les jours chez lui. C’était d’abord sur son propre territoire qu’il avait balayé des identités. Massacré des communautés. Exploité des faibles. Il s’était fait la main sur ses populations avant d’aller déféquer sur la figure des autres2. »

    Rencontre avec le livre

    Léonora Miano, vous en entendrez encore parler sur Bibliolingus ! Avec ce roman, l’auteure apporte un regard incisif, lucide, sur les questions clivantes de notre société. Au-delà du panafricanisme, du black power, qu’en est-il de l’immigration et de l’émigration ? Que sont le racisme et le radicalisme ? Qu’offre la France à sa jeunesse ? Comment les leaders d’opinion (les « intellectuels » chouchous des médias) malintentionnés peuvent-ils reprocher aux personnes marginalisées par la société d’être communautaristes, alors que l’esprit communautaire est au fondement même de l’humanité ?

    Je vois Léonora Miano comme une sculptrice qui travaille son matériau, les problématiques sensibles, dans tous les sens, sous différents angles. Elle le fait avec un soin constant des mots, du vocabulaire, et une conscience profonde de l’altérité, de l’autre en tant qu’être humain. Je n’ai pas senti de mépris, de hauteur, de dogme, d’agressivité. Ses romans sont aussi très riches en références culturelles et historiques, sans pour autant que ça fasse « étalage de connaissances » comme chez d’autres auteurices.

    Voilà un roman passionnant, qui fait contrepoids à toutes les bêtises relayées trop largement et trop facilement par les médias. Lire Léonora Miano ne peut laisser personne indifférent, et sa voix est nécessaire à l’heure des crispations identitaires, politiques, religieuses. Je mesure combien la lecture peut ouvrir l’esprit, nous faire voir tout ce qu’on ne perçoit pas de notre petit bout de place qu’on occupe dans la société.

    Bref, je suis conquise, et j’espère vous convaincre de lire Léonora Miano !

    De la même autrice

    L'Intérieur de la nuit

    Crépuscule du tourment

     Contours du jour qui vient

    Les Aubes écarlates 

    Lisez aussi

    Littérature

    L'Autre moitié du soleil Chimamanda Nogzi Adichie (guerre du Biafra, Nigeria)

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigeria)

    Beloved Toni Morrison

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    Essais

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Heineken en Afrique Olivier Van Beemen

    Le rapport Brazza Mission Pierre Savorgnan de Brazza, Commission Lanessan 

    1. Page 190. -2. Page 138.

     

    Tels des astres éteints
    Léonora Miano
    Éditions Plon
    2008
    418 pages
    20,50 euros

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  • rentree litteraire 2016 bibliolingus

    petit pays gael faye bibliolingus blog livre

     

     

     

    Petit pays

    Gaël Faye

    Éditions Grasset

    2016

    Dans ce premier roman, autobiographique, Gaël Faye, chanteur et compositeur-interprète, raconte son enfance au Burundi et au Rwanda, ces deux petits pays témoins des génocides entre Hutu-e-s et Tutsi-e-s dans les années 1990. Un récit fluide et construit autour d’instantanés emblématiques d’une enfance qui se délite, de pays et de peuples qui se déchirent.

    « Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »

    En 1992, Gaby et sa petite sœur vivent avec leurs parents au Burundi, dans un quartier résidentiel privilégié de Bujumbura. Leur père Michel est français, et leur mère Yvonne a fui le Rwanda en 1963 et n’a jamais pu y retourner. Le narrateur, c’est le Gaby adulte qui raconte des épisodes marquants d’une enfance ordinaire et heureuse avec sa bande de copains et l’école française, le quotidien avec les « boys », les employés de maison.

    Au début, la guerre qui fait d’abord rage au Rwanda n’est qu’un simple mot. La vie continue comme avant, mais peu à peu la guerre civile entre les Hutus et les Tutsi, la peur, la violence, la mort s’insinuent dans l’univers enfantin et insouciant de Gaby : ses amis de l’impasse changent et prennent part au conflit, ses parents se déchirent, les « boys » disparaissent.

    L’enfance lui est volée, et Gaby est tiraillé entre son père qui ne souhaite pas le voir se mêler de politique, sa mère qui ne lui a pas transmis sa culture rwandaise et l’élève comme un « petit français », et ses copains qui l’enjoignent à s’engager dans le conflit, car « dans la guerre, personne ne peut être neutre ! ».

    « À l’OCAF [Office des cités africaines], les voisins étaient surtout des Rwandais qui avaient quitté leur pays pour échapper aux tueries, massacres, guerres, pogroms, épurations, destructions, incendies, mouches tsé-tsé, pillages, apartheids, viols, meurtres, règlements de comptes et que sais-je encore. Comme Maman et sa famille, ils avaient fui ces problèmes et en avaient rencontré de nouveaux au Burundi – pauvreté, exclusion, quotas, xénophobie, rejet, boucs émissaires, dépression, mal du pays, nostalgie. Des problèmes de réfugiés. »

    Rencontre avec le livre

    Dans ce premier roman, et autobiographique qui plus est, Gaël Faye raconte la fin de son enfance, lorsque la guerre éclate au Burundi où il est né et au Rwanda dont sa mère est originaire.

    L’auteur manie les mots avec aisance, comme dans ses chansons, et la narration est très fluide, bien découpée en chapitres qui capturent un instantané, une scène forte, emblématique d’une enfance qui se délite, de pays et de peuples qui se déchirent. Il raconte la difficulté de l’exil, la pression sociale entre les enfants, l’histoire de ses parents, mais aussi la découverte de la lecture : tout un ensemble de thèmes essentiels et qui m’ont plu. Le roman se lit très vite et la tension est constante, car on sent le drame se sceller plus sûrement à chaque page.

    Toutefois, le regard de l’enfant prenant toujours le dessus, je n’ai pas trouvé d’explications historiques et politiques à l’origine de la haine entre Hutu-e-s et Tutsi-e-s. Plus de 20 ans après, le génocide rwandais reste une plaie ouverte aux yeux de tous, car la communauté internationale peut être accusée de n’avoir rien fait (et en même temps, on peut s’interroger sur le droit d’ingérence quand on voit la manière dont la France est intervenue au Mali en 2013). Il était probablement plus sage pour Gaël Faye de ne pas aborder frontalement le sujet et d’apporter son témoignage qui à lui seul mérite l’attention.

    Quelle est la part de vérité, d’imagination, surtout concernant la fin du roman ? Je ne sais pas, et au fond c’est ce qui fait la beauté de la fiction. Car même si tout n’est pas vrai, la fiction est là pour nous faire ressentir une époque, un contexte, une vie. Un excellent roman qui a l’air de faire l’unanimité auprès des lecteurs.

    Lisez aussi

    Littérature

    L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

    Crépuscule du tourment Léonora Miano (Cameroun)

    Tels des astres éteints Léonora Miano

    L'Intérieur de la nuit Léonora Miano

    L'Autre moitié du soleil Chimamanda Nogzi Adichie (guerre du Biafra, Nigéria)

    Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)

    Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigeria)

    Beloved Toni Morrison

    Notre case est à Saint-Denis 93 Bouba Touré (Mali, Sénégal)

    Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)

    Voici venir les rêveurs Imbolo Mbue

    Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)

    Essais

    Le Ventre des femmes Françoise Vergès

    Françafrique, la famille recomposée Association Survie

    Heineken en Afrique Olivier Van Beemen

    Effondrement Jared Diamond

    Décolonial Stéphane Dufoix

    Petit pays
    Gaël Faye
    Éditions Grasset
    2016
    224 pages
    18 euros

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  • Rentree litteraire 2015 Bibliolingusvenus d'ailleurs paola pigani bibliolingus blog livre

     

    Venus d’ailleurs

    Paola Pigani

    Éditions Liana Levi

    2015

     

     

    Merci à Libfly !

    En un mot

    En 1999, Simona et Mirko fuient la guerre du Kosovo et arrivent en France, à Lyon. Dans une langue imagée, Paola Pigani brosse le portrait délicat de ces deux personnages, et à travers eux, elle témoigne des migrations anciennes et actuelles.

    « Simona notait tout dans un petit carnet, autoriationprovisoiredeséjour, centquinze, rhônealpesauvergne, secourscatholique, une succession de syllabes dont elle ne comprenait rien1. »

    Nous sommes en 1999. Simona et Mirko, la vingtaine, ont fui la guerre du Kosovo (ou Kosovë en albanais) et leur famille massacrée ; ils ont traversé l’Europe et vécu dans des camps de réfugiés. Ils vivent à présent à Lyon où ils tentent de demander l’asile.

    Chacun vit sa souffrance et sa nostalgie d’une manière différente. Tandis que Simona se jette à corps perdu dans l’apprentissage du français au magasin de vêtements où elle travaille, Mirko se fait silencieux sur les chantiers le jour et graffe la nuit dans les usines désaffectées.

    « — Ça va, Ousman ? Tu connais niveau de vie moyen, traitement préventif, signe ostentatoire religieux ?

    Simona garde les mots en bouche comme des bonbons. Elle en suce le silence jusqu’à ce que son cerveau veuille bien associer les images aux sons, aux lettres, et restituer une partie de leur corps. Elle roule sa voix sur cette nouvelle langue. Elle l’aime. Elle la crache. Elle la chante avec toute la hargne qui l’habite. C’est une histoire tendre et nerveuse qui lui coûte du temps. Simona s’en fiche2. »

    Rencontre avec le livre

    Dans le roman de Paola Pigani, ceux qui viennent d’ailleurs ne sont pas seulement Simona et Mirko du Kosovo. À travers leur histoire, il est question de toutes les émigrations, les actuelles et les anciennes. Sur leur chemin, sans cesse confondu avec celui des Roms, Simona et Mirko rencontrent des Soudanais, des Tchétchènes, un vieil Italien et un Portugais qui en leur temps étaient aussi des immigrés en France. Mais quoi qu’il advienne, comme le dit Ousmane, lui ne pourra jamais devenir aussi français que Simona, car il est noir : pour l’administration française, toutes les migrations ne se valent pas. La portée de ce roman, la souffrance de l’exil entremêlant les différentes vagues d’immigration, se veulent universelles.

    Le parcours de Simona est celui qui m’a le plus touchée. Elle a le désir viscéral, combattif, d’apprendre la langue, effacer son accent pour effacer ses origines. Elle semble enfermer en elle ses souffrances, qui rejaillissent seulement sur le papier, dans ses écrits, ses correspondances, mais pas dans son quotidien. J’ai été d’autant plus emportée par son histoire que j’adore le français, bien sûr, mais que j’ai beaucoup de mal à apprendre d’autres langues. Je suis admirative des gens qui parviennent à apprendre une langue étrangère à un tel niveau, comme Simona.

    Paola Pigani aime ses personnages et les décrit avec délicatesse ; elle capte des scènes évocatrices d’un état d’esprit, d’une douleur inaliénable. Venus d’ailleurs est un texte très beau, écrit dans une langue imagée qui pourtant ne se laisse pas facilement apprivoiser. J’ai noté de nombreux passages très beaux que je ne peux pas tous citer, mais que je vous invite à découvrir par vous-même !

    Lisez aussi

    Pascal Manoukian Les Échoués

    1. Page 18. -2. Pages 27-28.

    Venus d’ailleurs
    Paola Pigani
    Éditions Liana Levi
    Collection Littérature française
    2015
    176 pages
    17 euros

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