• Sociologie de la bourgeoisie ≡ Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

     Sociologie de la bourgeoisie Pinçon et Pinçon-Charlot Bibliolingus

    Sociologie de la bourgeoisie

    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

    La Découverte

    2000

     

    Une classe en soi et pour soi

    Dans la lutte des classes qui oppose les prolétaires à la bourgeoisie, cette dernière a une grande conscience de soi, de ses intérêts et de ses limites.

    La bourgeoisie et la noblesse accumulent et entretiennent les capitaux économique, social et symbolique. Elles se mobilisent par un travail collectif pour préserver et transmettre leurs richesses à l’intérieur du groupe : les mariages endogamiques et la cooptation définissent les frontières de la classe.

    « Tout en manifestant ce collectivisme pratique, l’idéologie mise en avant est celle de l’individualisme. La référence au marché, à la concurrence, à la compétition, apparaît dominante dans les discours des dominants, alors même que leurs pratiques sont bien loin de cet individualisme théorique1. »

    La socialibilité au cœur de la mobilisation

    Ayant conscience de leur appartenance, les bourgeois·es et les nobles n’ont de cesse de se retrouver entre elleux, d’abord parce qu’il est agréable de se trouver parmi les personnes qui nous ressemblent, et d’autre part parce qu’il s’agit d’entretenir le capital social et affirmer chaque jour cette appartenance. À ce titre, les cercles (le Cercle du Bois de Boulogne, le Cercle de Deauville, le Jockey club, le Polo de Paris…), les rallyes qui réunissent les jeunes en vue de créer des alliances amoureuses, les activités culturelles (l’opéra, les ventes aux enchères pour les philistins), les activités sportives (le ski, le golf, la chasse à courre) et les lieux de villégiature (les résidences privées ultra surveillées dans le monde, ou l’île Moustique…) sont autant d’occasions de multiplier les liens qui tissent le réseau bourgeois.

    Toutefois, les bourgeois·es manifestent aussi leur mobilisation en cohabitant dans les mêmes quartiers (les 6e, 8e et 16e arrondissements de Paris) et les mêmes lieux de villégiature. L’internationalisation (par les nurses étrangères, les écoles d’élite et les études) est aussi source de mobilisation, puisque, à travers le monde entier, on se retrouve entre soi et on cultive des intérêts communs ; cette internationalisation explique par ailleurs la facilité avec laquelle la bourgeoisie s’adapte à la mondialisation.

    Les nouvelleaux riches, les « hommes d’affaire », les « parvenus », singent les étiquettes et les protocoles de la classe sociale ; mais la noblesse et la bourgeoisie se définissent par leur ancienneté davantage que par la richesse. Elles veillent à occulter, en toute discrétion, les possessions matérielles au profit des qualités personnelles des individus qui composent le groupe, et à gommer leur dépendance au système économique : « Si nous sommes riches, c’est parce que nous avons du talent et que nous l’avons mérité, et ce n’est pas par l’exploitation des autres classes qui travaillent pour nous assurer des rentes. » Dans le même sens, les chefs d’entreprise tentent d’acquérir ce capital symbolique en installant leurs sièges sociaux dans les quartiers bourgeois de Paris, ce qui n’est pas sans incommoder les bourgeois·es qui sont dépossédés de leur lieu de vie.

    La classe dominante

    « Il s’agit de passer de la domination économique à la domination symbolique, c’est-à-dire d’une domination matériellement fondée à une domination ancrée aussi dans les représentations et les mentalités et pour cela beaucoup plus solidement assise. Cette métamorphose des rapports de domination est essentielle à leur reproduction puisqu’il s’agit d’aboutir à l’intériorisation par les dominés des excellentes raisons qui font des dominants ce qu’ils sont. Les dominés participent alors eux-mêmes à leur domination en reconnaissant celle-ci comme bien fondée2. »

    « Cette idéologie de la concurrence et de la loi du marché permet de mettre en avant, sous les apparences formelles d’une égalité des chances dans la compétition, l’idée d’une société méritocratique sachant récompenser l’effort et donc sélectionner les meilleurs. Comme si tous les concurrents étaient placés sur la même ligne de départ, comme si l’héritage, sous toutes ses formes, ne faussait pas radicalement la course, les derniers partis s’épuisant, au mieux, à simplement tenter de contenir les écarts de départ3. »

    « Ainsi l’idéologie libérale a annexé la logique méritocratique. Le travail reste bien la valeur fondamentale, et la fortune finit par être perçue comme résultant de l’effort. Ces sondages montrent, au moins, que, dans les médias, règne une hégémonie de la pensée dite unique : une conception de la société qui a trouvé sa fin dans le triomphe du marché. Ce qui au fond est marxiste : si les classes sociales ont disparu, si la bourgeoisie et le prolétariat ne sont plus antinomiques, l’histoire est bien terminée, au moins celle qui aurait eu la lutte des classes pour ressort. Il reste que la bourgeoisie existe bien encore comme classe, étant la seule aujourd’hui à exister objectivement et subjectivement, les inégalités demeurant au sein des pays développés, et s’étant même accrues entre pays riches et pays pauvres4. »

    Mon avis

    En valorisant la méritocratie, la classe dirigeante encourage chacun·e à faire des efforts pour atteindre le statut de bourgeois. Or, c’est illusoire puisqu’il ne s’agit pas seulement de posséder un capital économique pour faire partie de l’élite. Mais surtout, l’idéologie méritocratique permet de faire accepter aux dominé·es que les riches ont mérité d’être riches et dominant·es. Ainsi, les classes laborieuses légitiment et encouragent la domination des riches en acceptant l’idéologie de la méritocratie.

    Ce petit ouvrage, paru dans la collection Repères de La Découverte, dernier bastion de la gauche qui appartient au gigantesque groupe Editis, a le mérite (!) de proposer une sociologie pour le moins inhabituelle : si l’on se penche volontiers sur le cas des pauvres, perçu·es comme responsables de leur situation, au contraire la classe des riches se cache de bien des manières.

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    Sociologie de la bourgeoisie

    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

    Éditions La Découverte

    Collection Repères sociologie n°294

    2000

    128 pages

    10 €

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