• Arrête, arrête Serge Bramly Bibliolingus

    Rentrée littéraire 2013
     

    Arrête, arrête

    Serge Bramly

    Nil éditions

    2013 

    Opération Matchs de la rentrée littéraire 2013 de Price Minister

    « Seize ans pour meurtre1 »

    Vincent est un repris de justice en fuite. Voilà seize ans qu’il n’a pas vu le monde. Seize ans de prison pour des meurtres qu’il dit ne pas avoir commis, et pour un magot dont on a perdu la trace. Mais qu’importe, cela fait une semaine qu’il est en liberté conditionnelle, avec un bracelet électronique qui lui assigne un périmètre de « liberté » pendant moins d’un an. Après, il aura définitivement purgé sa peine, il sera libre pour de vrai.

    Mais visiblement Vincent n’a pas pu se contenter d’une prison déguisée. À plus de soixante ans, il a quelque chose en tête. Après avoir cassé son bracelet, il a disparu. Pourquoi ? Pour aller où ? Pourquoi a-t-il agi ainsi, alors qu’il était sur le droit chemin ?

    C’est ce que se demandent son frère et sa fille. Et la police qui le recherche.

    « J’espérais et redoutais la sonnerie qui ne manquerait pas de dissiper bientôt l’angoisse léthargique de l’attente. Qui téléphonerait en premier ? Mon frère, de l’étranger, pour me dire qu’il embarquait à destination des tropiques ? Ou son avocat, ou les flics, porteurs de mauvaises nouvelles2 ? »

    « Vincent ? En cavale3 ? »

    Avec cette fuite inconsidérée, Vincent va encore faire revenir tous les journalistes qui vont les épier, poser plein de questions, s’immiscer dans leur vie privée. Les journalistes médiatisent à outrance des affaires judiciaires, quitte à faire souffrir l’entourage pendant des années. Au bout du compte, Vincent n’apporte que des ennuis à la famille.

    Vincent plonge dans l’univers underground qu’il a quitté seize ans plus tôt, déterminé à mener à bien un plan secret. En chemin, il porte un regard désabusé sur l’extérieur, sur la société, sur la ville, qui ont changé. Beaucoup de temps a passé.

    Mais voilà qu’il est distrait de son projet (qu’on ignore jusqu’au bout, même si on s’en doute un peu) quand il rencontre une femme qui pourrait le faire changer d’avis et faire basculer ses plans, quels qu’ils soient.

    Mon avis

    Arrête, arrête se lit trop vite : 120 pages, durant lesquelles les projets de Vincent restent mystérieux. Comme on ignore ses intentions jusqu’aux dernières pages, on ne ressent pas l’inéluctabilité, la saveur des instants qu’il est en train de vivre, puisque lui seul connaît la vérité. Et au final, après qu’il a accompli trois choses, clac, le roman se termine. Pas le temps de s’imprégner, pas le d’être sensible à sa personnalité, alors on passe à côté de lui. Sa critique de la société est faiblarde, on aurait espéré qu’il aille plus loin, qu’il ait une réflexion plus profonde et plus virulente, surtout lorsqu’on sait la fin du roman. L’expression des sentiments amoureux est également faiblarde, alors qu’il y aurait eu tant à dire à propos d’un ex-taulard.

    Tout du long, le récit reste extérieur aux personnages, l’approche est froide, à l’image de l’univers underground qui habite le roman. Quand tout bascule, quand on prend une baffe parce qu’on a une bouffée de liberté après seize ans d’emprisonnement, que le monde et les gens ont changé, on ne peut qu’avoir le vertige. Mais l’auteur ne nous offre pas ce grand vertige, et seulement une parcelle de la psychologie de Vincent, alors que ce personnage est super intéressant. Alors il faut imaginer, se mettre à sa place, mais au final on bâtit nos émotions sur notre propre imagination, pas sur celle de l’auteur.

    Ce roman, malgré les questions sur la liberté, sur l’amour quand le temps est compté, est une déception. Toutefois, il est à noter que le livre en lui-même est très joli, avec une couverture soignée en soft-touch et des rabats élégants.

    1. Page 80. -2. Page 68. -3. Page 51.

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    Arrête, arrête

    Serge Bramly

    Nil éditions

    2013

    128 pages

    12,90 euros

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  • Les Fuyants Arnaud Dudek BibliolingusRentrée littéraire 2013

    Les Fuyants

    Arnaud Dudek

    Alma éditeur

    2013

    « Le contraire de disparaître. Revenir, quoi. »

    C’est le titre qui le dit : les fuyants, ce sont ces hommes lâches qui fuient leurs responsabilités, comme élever un môme et être avec sa femme quand on s’est marié. Fuir de toutes les manières : après le premier rendez-vous (c’est quand même le mieux), après le premier môme, ou carrément, se suicider, qu’on en parle plus.

    Sur ce thème assez commun, on rencontre plusieurs membres d’une même famille. Il y a Joseph, le môme en question, un ado geek renfermé, que sa mère a bien du mal à décrypter. Elle ne sait pas vraiment ce qu’il trafique sur son ordi, ce n’est pas qu’un geek, hein, mais ça, sa mère ne le sait pas encore. C’est le cliché de l’ado rebelle, sauf qu’il écoute Lady Gaga et aime lire Boulgakov et part sur les traces de son père disparu. Lui, il va au devant des réponses, mais ce qu’il fuit, c’est davantage son identité.

    Il y a son oncle, Simon, trentenaire mais éternel étudiant dans la manière de vivre. Il sort avec des filles jolies et intelligentes, mais il recule au moindre engagement amoureux. Et même les engagements familiaux, car Simon ne veut pas s’enfermer dans les conventions sociales, devenir sédentaire et responsable d’une famille.

    Il y a aussi le grand-père, Jacob qui, lui, a franchement fui sa vie de famille plus de trente ans auparavant. Mais voilà, comme rien n’est jamais trop tard selon lui, il voudrait revoir son fils qu’il a abandonné, suivre les match de foot avec lui, « acheter des chaussures à ses petits-enfants, ou des vélos, ou des jouets » ; bref, retrouver sa place dans la famille qu’il a quittée.

    « Elle voudra changer la décoration du salon. Déménager. Avoir un enfant. Il la quittera pour toutes ces raisons. Ensuite, la situation se compliquera sacrément. Elle le menacera à l'aide d'un saladier, s'effondrera sur le canapé, jettera tous ses vinyles aux ordures. Ou tout se passera bien : Marie se détachera gentiment de lui, il la recroisera un an plus tard au rayon des surgelés, oui, enceinte de trois mois, lui dira-t-elle dans un sourire. Et il titubera jusqu'à la caisse en semant des clémentines. » 

    Mon avis

    On pourrait qualifier Les Fuyants de roman sur l’impossibilité de communiquer avec l’autre, d’assumer ses propres désirs face à une société qui dicte des normes sociales. Mais ce serait intellectualiser ce très court roman qui se veut vivant, drôle et percutant quand même, qui veut porter un regard à la fois tendre et critique sur ces hommes de plusieurs générations.

    Sauf que, en voulant faire dans le court et le drôle, comme dans une nouvelle, Arnaud Dudek vire à la caricature des personnages, avec des accumulations de détails parfois lourds. Elle existe dans la vraie vie, mais quand presque tous les personnages font cliché, principaux ou figurants, il y a quelque chose qui cloche. Or, là, on aurait demandé plus de descriptions pour entrer dans la pensée des personnages : pourquoi fuient-ils ? de quelle autre vie rêvent-ils ? Le titre, qui d’ailleurs a quelque chose de dramatique, semble un prétexte pour raconter l’histoire de ces hommes.

    « À l’Académie, des collégiennes commandent des Coca Zéro, sèchent la gym, parlent french manucure et lâcheté des mecs. Un jeune rasta distribue des tracts appelant à l’alter-révolution alter-capitaliste. Des prépas cravatés lisent The Observer en buvant à la paille. »

    Pourtant, Arnaud Dudek a un potentiel en matière d’humour. Il fait aussi de chouettes transitions entre les chapitres, qui permettent de glisser d’un personnage à l’autre. Il sait aussi écrire un roman dans l’ère du temps, avec un langage percutant, moderne, parfois en verlant (thunes, daronne, vénère, manger sa race, truc de malade) qui donne du naturel mais renforce l’impression de caricature.

    Le point fort de ce roman, c’est que c’est une tranche de vie, pas une histoire avec un début et une fin. Arnaud Dudek a vaincu l’idée qui veut qu’un roman se termine avec des réponses et un happy end. Et en faisant léger, il permet d'éviter la morale qui aurait exigé comme un retour de bâton, une punition à la fuite ; par exemple, il n’incrimine pas Simon qui ne veut pas se lancer dans une vie maritale.

    Mais tout ceci ne compense pas l’impression caricaturale des personnages, dans la manière de les esquisser. Moins de 130 pages, c’est définitivement trop court pour plonger dans les pensées de quatre personnages très différents. Les nouvelles d'Arnaud Dudek doivent être pas mal, pour le coup.

    « On aimerait croire à cet instant que l’oncle et le neveu se rapprochent, qu’une sorte de complicité naît entre eux. malheureusement on en est loin. Simon ne sait pas trop quoi penser de cet adolescent capable de passer deux heures devant un film chilien où se raconte la révolte d’un village (à son âge, il se contentait de fantasmer devant la princesse Leia de La guerre des étoiles), ou bien de mener des actions politiques sur Internet (à son âge, il croyait que Mitterrand était président à vie). »


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    Les Fuyants

    Arnaud Dudek

    Alma éditeur

    128 pages

    août 2013

    15 euros

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  • Le Monde selon Garp John Irving Bibliolingus

     

    Le Monde selon Garp

    John Irving

    Le Seuil

    1980

     

    Jenny Fields, sexuellement suspecte

    Jenny Fields, une jeune femme issue d’une famille bourgeoisie, transgresse les normes sociales de son époque. En 1940, alors que les femmes ne travaillent pas et sont vouées d’abord à être des épouses et des mères, Jenny Fields, à contre-courant décide d’être infirmière et mère, mais ne veut pas d’un mari. Jenny Fields, avec son franc-parler, écrira son autobiographie qui fera d’elle, malgré elle, une icône féministe, quitte à attirer les courants les plus extrémistes.

    Garp, l’écrivain

    Mais détrompez-vous, l’histoire de Jenny Fields, pourtant passionnante, ne concerne que le tout début du roman (les cent premières pages). Elle donnera en effet naissance à Garp qui deviendra écrivain, et c’est lui qui est au coeur de l’histoire. Auteur d’une nouvelle et de deux romans dont on a quelques extraits insérés dans la narration, Garp s’interroge sur l’ambition d’écrire. L’inspiration vient-elle de l’invention totale, ou est-elle puisée de sa propre vie ? Si Garp se targue d’avoir beaucoup d’imagination, il n’empêche que les thèmes de ses romans reviennent toujours à son vécu et à ses obsessions ; et Le Monde selon Garp, bien qu’il soit souvent farfelu, est un roman autobiographique.

    La peur de la mort

    Malgré un début prometteur, Le Monde selon Garp est bien l’histoire de Garp, et surtout de ses obsessions agaçantes qui occupent une place bien trop importante dans ce très long roman. Si l’on devait résumer (bien que tout résumé soit un peu faussé car réducteur), Garp est un écrivain obnubilé par le danger : que ce soit dans sa maison, en bas de chez lui, dans son quartier. Il cherche à tout prix à protéger ses enfants, sa famille, lui-même, du monde extérieur, jusqu’à en devenir paranoïaque. Et comble de tout ça : le narrateur dit qu’il n’a pas le sens de l’humour. Garp est un homme ennuyeux à suivre. On apprend sans grande curiosité beaucoup d’éléments de son quotidien, la vie de ses amis, des gens qu’ils croisent ; quelques uns sont déterminants dans l’histoire, la plupart sont insignifiants.

    Il y a bien des moments surprenants et vifs, amenant des situations rares en littérature, mais beaucoup de passages sont vraiment des digressions, comme quand Garp raconte comment il accoste les automobilistes dans son quartier résidentiel pour leur faire comprendre qu’ils roulent trop vite et pourraient écraser des enfants, ses enfants. Il nous raconte par le menu le type de conducteur à qui il a affaire et les stratégies qu’il met en place pour leur parler…

    « Garp rêvait en effet de pouvoir un jour acheter une forme d’isolement pour se couper de l’horreur du monde réel. Il imaginait une espèce de forteresse où [ils] pourraient vivre à l’abri des agressions, et même du contact, de ce qu’il appelait “le reste de la vie1”. »

    En plus de cela, le narrateur et l’entourage de Garp le définissent comme un être original et un écrivain talentueux. Or, ce n’est pas à force de se le voir répéter que le lecteur va y croire. Il y a comme une impression d’auto-louange agaçante.

    Mon avis

    Autobiographique ou pas, Le Monde selon Garp est assez ennuyeux, à l’image de son personnage. Être ennuyeux est un terrible défaut pour un livre qui fait 650 pages (et qui aurait pu en faire moitié moins) : la lecture devient une épreuve à partir du moment où on réalise que Garp est devenu tellement obsédé par la crainte de la mort de ses enfants qu’il en vient à guetter les voitures qui roulent trop vite dans son quartier.

    Il y a bien des qualités à ce roman, mais elles n’effacent pas l’ennui que dégage le personnage.

    Tout d’abord, la narration est agréable : les détails abondent, donnant une grande matière aux personnages, mêlant facilement le présent et l’avenir. Le plaisir n’est pas tant dans le fait de savoir ce qu’il va se passer, mais plutôt comment ça va se passer. Cette avalanche de détails n’est pas sans but, puisqu’elle permet au narrateur de mettre en place les éléments qui feront les drames. La création de scènes inhabituelles et surprenantes, ainsi que l’ironie du sort et la cruauté que John Irving réserve à ses personnages, relèvent aussi l’ensemble.

    D’autre part, ce roman brasse beaucoup de thèmes passionnants, quoique pour certains puritains, comme le féminisme des années 1950 aux États-Unis et ses extrémismes, le viol, la concupiscence et ses dangereuses conséquences lorsqu’on cède à la tentation. Mais, malgré une certaine envergure, il part dans tous les sens et souffre d’une certaine vision d’ensemble.

    Lisez aussi

    La Tache Philip Roth

    Beauté fatale Mona Chollet

     

    1. Page 471.

    Le Monde selon Garp

    (The World According to Garp)

    Traduit de l’américain par Maurice Rambaud

    Préface de l’auteur traduite par Josée Kamoun

    Présentation de Pierre-Yves Pétillon

    Éditions du Seuil

    Collection Points

    1998

    654 pages

    8,50 euros

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