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À jeter aux chiens ≡ Dorothy B. Hugues
À jeter aux chiens
Dorothy B. Hugues
Gallimard
1963Au mauvais endroit, au mauvais moment
Arizona dans les années 1960. Hugh avait pris la route pour se rendre à Phoenix et se rendre au mariage de sa sœur. En chemin, il avait pris une autostoppeuse, une jeune fille, peut-être 14 ou 15 ans, qui avait semblé lui débité des mensonges sur sa destination. Mais Hugh l’avait déposé à l’endroit convenu et avait rejoint sa famille lorsqu’il a été interpellé par la police.
Selon la police, il serait impliqué dans le meurtre d’une jeune fille dont le cadavre vient d’être retrouvé près de Phoenix. Plus exactement, ce meurtre aurait été entraîné par un avortement qui aurait mal tourné. Or, Hugh est médecin. Et en plus, il est noir.
Coupable parce qu’il est noir
Si la ségrégation a été abolie justement dans les années 1960, les mentalités n’ont pas évolué au même rythme que les lois. À jeter aux chiens raconte comment Hugh, qui se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment, est le coupable tout désigné d’un fait divers. Doublement coupable, parce qu’il est accusé de crime envers une personne blanche, et parce que l’avortement est interdit.
Ce que semble vouloir montrer Dorothy B. Hugues, et qui est terriblement frappant, c’est la facilité avec laquelle les policiers qui mènent l’enquête sont enclins à accabler Hugh ; comme si, avec deux ou trois preuves et des témoins anonymes, ils pouvaient objectivement conclure à la culpabilité de Hugh. Il ne semble pas y avoir de corruption ou de coup monté, mais un racisme profondément enraciné dans le cœur des Blancs, même dans une ville comme Phoenix. Hugues montre combien les policiers ont l’écœurante satisfaction du travail bien fait, d’une enquête bien menée. Et combien, face à un tel « professionnalisme », il est quasiment impossible d’éviter la prison sans un bon avocat, surtout quand on est noir.
Quant à l’avortement, interdit à l’époque, Hugues décrit dans quelles conditions misérables il était pratiqué. Les conditions d’hygiène déplorables, à la va-vite sur un canapé, dans le salon, avec de vieux instruments. L’avortement à la sauvage, ou comment les femmes, encore dans les années 1960, étaient des sous-êtres humains (comme les Noirs), prisonnières de leur corps.
Mon avis
Ce roman n’a aucune portée si on ne connaît pas le contexte. La tension monte en même temps que l’étau se referme autour de Hugh, mais il manque quelque peu d’intensité, comme si l’autrice n’avait pas voulu aller trop loin dans l’injustice. Elle aurait pu pourtant, car la réalité a bien souvent dépassé cette fiction. La langue est simple, sans fioritures, brutale puisque le racisme y est évoqué sans ambages.
La collection Arcanes chez Joëlle Losfeld, malheureusement en suspens depuis quelques années, est une collection de littérature engagée. L’injustice, les inégalités, la peine de mort, le racisme... C’est rare de lire des textes à la fois littéraires et politiques (le combo ultime), mais Arcanes les avait saisis. C’est vrai que la littérature engagée, ce n’est pas vendeur, mais rien que pour elle, ça vaut la peine d’être éditeur. Chers éditeurs de Joëlle Losfeld…
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Récits
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Un billet d'avion pour l’Afrique Maya Angelou
À jeter aux chiens
(The Expandable Man)
Traduit de l’américain par Raoul Holz
Dorothy B. Hughes
Éditions Joëlle Losfeld
Collection Arcanes
2003
192 pages
8,5 euros
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Tags : racisme, injustice, communautarisme, Etats-Unis
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Commentaires
1Alex-Mot-à-MotsVendredi 18 Avril 2014 à 19:00Répondre
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