• Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité ≡ Guillaume Goutte

    correcteurs et correctrices guillaume goutte bibliolingusCorrecteurs et correctrices, entre prestige et précarité

    Guillaume Goutte

    Éditions Libertalia

    2021

     

    Dans ce petit ouvrage publié par les éditions indépendantes et engagées Libertalia, Guillaume Goutte, secrétaire délégué de la section correction à la CGT, fait un état des lieux du métier de correcteurice dans la presse et dans l’édition, où la précarité et l’isolement se sont durablement installés. Il propose aussi différents moyens d’action pour pérenniser l’existence et le professionnalisme de nos métiers. On parle enfin concrètement de mon métier et de ses difficultés ! Car, en tant qu’éditrice et correctrice freelance dans l’édition et la correction de livres depuis 2013, je me suis beaucoup retrouvée dans ces pages, et c’est de ce statut dont je vais vous parler en particulier dans ma chronique. 

    « Le microentreprenariat est l’un des maux les plus graves qui touchent le métier de correcteur aujourd’hui, générateur de précarité extrême et menace pour l’exercice professionnel de la correction1. »

    En apparence, le statut d’autoentrepreneur⋅se (freelance) donne l’impression qu’on est libres, indépendant⋅es, mais il n’en est rien. Voici les difficultés qu’on rencontre dans l’édition :

    • revenus particulièrement faibles, voire indécents, qui sont rarement négociables ;
    • revenus fluctuants d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, qui empêchent toute stabilité et toute projection à long terme (obtenir un logement, contracter un prêt à la banque…) ;
    • peu de vacances par peur de passer à côté d’une mission freelance, horaires à rallonge (mon « record » est de 13 heures sur une journée et 60 sur une semaine) et travail les weekends et jours fériés pour parvenir à rendre un fichier dans les temps impartis ;
    • lien de subordination à peine masqués ;
    • faible protection sociale (arrêt maladie, chômage, retraite…).

    Dans la presse, le métier de correction est précaire. La rémunération à la pige s’est généralisée, et le métier est souvent escamoté, puisque ce sont les secrétaires de rédaction qui se retrouvent à faire la correction, alors que ce sont deux métiers distincts. Toutefois, comme le métier des correcteurices dans la presse est intimement lié à la naissance du syndicalisme à la fin du XIXe siècle, la corporation bénéficie encore d’un rapport de force qui a permis de préserver une certaine sécurité. Il y a notamment la loi Cressard de 1974 qui dispose que toute personne travaillant pour un organisme de presse est, de fait, présumée salariée.

    Mais, dans l’édition, c’est pire ! Le premier syndicat de correcteurices de l’édition n’est né qu’en 1957. Les TAD (travailleureuses à domicile) ont un statut précaire : iels sont salarié⋅es mais ne sont pas considérées au même titre que celleux travaillant dans les locaux de la maison, et leurs revenus sont très fluctuants.

    En fait, c’est surtout avec l’avènement de l’autoentreprenariat en 2009 (merci Sarkozy) que les choses se sont empirées. Nous sommes corvéables à merci, rémunéré⋅es au lance-pierre et jetables du jour au lendemain. Ce statut s’est largement répandu dans l’édition, car c’est du pain béni pour les employeurs : il les affranchit de l’encadrement juridique imposé par le salariat, du Code du travail, des conventions collectives et des accords d’entreprise. Le statut d’autoentrepreneur⋅se est une véritable régression en matière de droit du travail.

    « Les correcteurs et correctrices doivent défendre leur métier s’ils veulent continuer d’en vivre et s’ils sont convaincus de son importance dans la diffusion d’une information et d’une culture de qualité2. »

    Au-delà des constats pour le moins alarmants, cet ouvrage est une invitation à se mobiliser. Il propose différentes manières de s’engager pour sécuriser nos professions, obtenir une meilleure reconnaissance de nos métiers, de nos compétences, et une meilleure rémunération. 

    Ces moyens d’action sont complémentaires, il ne faut en négliger aucun, mais pour Guillaume Goutte, le premier est avant tout la syndicalisation (notamment auprès du Syndicat général du Livre et de la communication écrite de la CGT). Pour plusieurs raisons, la syndicalisation est en perte de vitesse depuis plusieurs décennies. Pourtant, le syndicat est un lieu qui permet de se réunir, de se solidariser, de s’informer, de se former, de s’aider les un⋅es les autres, de mener des actions collectives, de renforcer notre pouvoir, d’inverser le rapport de force, de faire changer les pratiques, les mentalités et les lois. 

    À cela s’ajoutent le boycott et le call-out des organismes de presse et des maisons d’édition ayant des pratiques exécrables (manifestations lors d’événements publics) ; le label syndical, comme cela se faisait au XIXe siècle (mention qui atteste qu’un produit a été réalisé par des personnes travaillant dans de bonnes conditions) mais, personnellement, je n’ai jamais vu cela ; ou encore le recours aux prud’hommes (qui est très coûteux à titre personnel et professionnel).

    Mon avis : la correction, un métier indispensable qu’il faut défendre

    Comme le dit si bien Guillaume Goutte, nos métiers n’ont aucune raison de disparaître : que ce soit sur le papier ou sur internet, l’écrit est omniprésent. L’édition et la correction sont indispensables pour comprendre un texte, quel qu’il soit. Et sur internet, il y a de quoi faire ! Les organismes de presse ne financent plus la correction, car ils semblent croire que le lectorat du web est moins exigeant que celui du papier…

    Dans tous les livres que je lis, il y a des fautes. S’il manque un mot, une virgule, un italique, une capitale, le sens de la phrase peut changer. Parle-t-on de la Libération (à la fin de la Seconde Guerre mondiale), du journal Libération ou de la libération, celle qui émancipe ? Une table des matières mal paginée ou l’absence de glossaire quand il y a profusion de noms propres ne permettent pas de s’orienter dans le livre. Que dire d’un récit qui passe du passé simple au passé composé, puis au passé simple et au présent de l’indicatif, emmêlant la chronologie des événements ? Que dire de l’écriture inclusive, utilisée de manière aléatoire dans certains ouvrages (celui-ci y compris) ?

    Mais il y a aussi le contenu en lui-même. Que dire d’une information scientifique non vérifiée, qui sera lue par des milliers de personnes ? Que dire d’une introduction qui définit mal la problématique, d’une notion pointue sans note explicative, d’une traduction qui introduit un contresens ? Mon travail, c’est tout cela depuis 9 ans, c’est le fond et la forme, et il me semble indispensable pour ne pas laisser le lecteurice dans l’errance, pour rendre le livre accessible au plus grand nombre, pour le faire sortir de l’élitisme.

    À la lecture de cet ouvrage, j’ai décidé d’adhérer au Syndicat général du Livre et de la communication écrite de la CGT. Aussitôt lu, aussitôt fait !

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    Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité

    Guillaume Goutte

    Éditions Libertalia

    2021

    84 pages

    8 euros

    1. Page 53. -2. Page 45.

    « L’amour de nous-mêmes ≡ Erika NomeniDécolonial ≡ Stéphane Dufoix »
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  • Commentaires

    1
    Vendredi 10 Mars 2023 à 07:33
    Un métier indispensable, je suis d'accord. J'ai hélas parfois l'impression que certains éditeurs font des économies sur la correction.
      • Lundi 13 Mars 2023 à 10:39

        Coucou ! Oh oui, ce n'est pas une impression, mais ce n'est pas seulement qu'une histoire de budget, c'est aussi qu'on ne donne pas assez de temps aux correcteurices pour faire leur boulot !

    2
    Vendredi 10 Mars 2023 à 11:14
    Alex-Mot-à-Mots

    Nous aussi, lecteurices devont défendre les correcteurices, car il y a de plus en plus de fautes dans les ouvrages publiés (je m'en aperçoit même, c'est dire !)

      • Lundi 13 Mars 2023 à 10:40

        Coucou Alex ! Tu as bien raison, c'est aussi en tant que lecteurs et lectrices que nous pouvons nous mobiliser, exiger des livres de bonne qualité !

    3
    Samedi 15 Avril 2023 à 11:27

    Bonjour Lybertaire

    Si je comprends bien, comme beaucoup de correcteurices (jolie invention!), tu es en auto-entrepreneur...

    Au-delà des conditions de travail (facteur non maîtrisable, si ce n'est par l'action collective syndicale), as-tu jamais étudié le statut d'entrepreneur.e salarié.e en CAE (coopérative d'activité et d'emploi)? Je crois que je côtoie quelques un.e.s de tes "collègues au sein de celle dont je fais partie à Paris, "Omnicité"...

    [vérification faite, oui: dans la partie "Annuaire" du site, dans "Communauté", une recherche sur "correcteur" ne ramène rien, mais on voit 4 fiches avec "correctrice"...]

    Micro-bibliographie sur les CAE (non exhaustive, mais je possède ces deux-là!):

    Aux entreprenants associés, Elisabeth Bost, éditions REPAS
    Béatrice PONCIN, Salarié sans patron?, éditions du Croquant

    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

      • Jeudi 20 Avril 2023 à 10:26

        Salut !! Oui, je suis auto-entrepreneuse, à mi-temps désormais ! Je ne connais pas Omnicité, mais, au tout début, j'avais songé à intégrer une coopérative comme Coopaname, mais mes revenus étaient bien trop faibles pour payer plus de charges à cette époque.

        Dans l'édition, les petites mains sont majoritairement des femmes, nous charbonnons tandis que les hommes ont le beau rôle, ils sont directeurs de maison, directeurs de collection, et représentent la maison à l'extérieur !

        Merci pour ces deux références !!

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