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    Faiminisme Nora Bouazzouni Bibliolingus

    Faiminisme

    Quand le spécisme passe à table

    Nora Bouazzouni

    Editions Nouriturfu

    2017

    Comment la nourriture, le genre et le spécisme sont-ils intimement liés ? Comment l’alimentation permet-elle, encore aujourd’hui, d’asservir les femmes au sein d’un régime hétéro-patriarcal et spéciste ? Dans cet essai court, incisif, documenté, emprunt d’humour grinçant, Nora Bouazzouni donne à voir l’ensemble des constructions sociales qui régissent notre vie et nos sociétés. Une lecture instructive !

    « Si les femmes continuent d’assumer seules les repas à la maison, écrivent des livres de cuisine, tiennent des blogs culinaires ou postent des #pornfood sur Instagram, dans les restaurants, ce sont les mâles qui tiennent les fourneaux1. »

    Comment se fait-il que les femmes soient assignées depuis toujours à la préparation domestique des repas, et qu’il n’y ait que des chefs gastronomiques hommes connus ? Pourquoi les femmes sont, encore aujourd’hui et dans le monde entier, majoritairement paysannes, alors que les terres qu’elles cultivent appartiennent à 80 % à des hommes ? Pourquoi ce sont les agricultrices françaises qui sont davantage passées en bio ? 

    « Lutter contre l’exclusion systémique des femmes dans l’agriculture, sécuriser leur emploi et leur donner pouvoir et autonomie aura donc un effet immédiat voire notoire sur la faim, mais aussi des conséquences bénéfiques à plus long terme, comme réhabiliter la souveraineté alimentaire de pays du Sud qui, depuis la “révolution verte” des années 1960-1990, ont abandonné une agriculture diversifiée et raisonnée afin d’exporter plus en restant compétitifs2. »

    « On peut noter le paradoxe de l’homme s’estimant naturellement supérieur tout en jugeant que ce qui est naturel doit être amélioré3… »

    Pourquoi les femmes sont-elles plus petites et plus menues ? Pourquoi sont-elles davantage touchées par l’obésité et les troubles alimentaires du comportement dans les pays occidentaux, et par la famine dans les pays pauvres ?

    « Si je ne peux plus assassiner les animaux pour me nourrir, je ne suis plus maître de la nature. De la même manière si je ne peux plus siffler une femme dans la rue sans qu’elle me retourne une gifle, je ne suis plus maître de l’espace public. Si je ne peux plus dire à une collègue que son jean lui fait un sacré beau cul sans qu’elle me poursuive pour harcèlement sexuel, je ne suis plus maître de l’espace professionnel. En gros, si je ne me comporte plus comme si tout m’était dû, je perds mon statut de prédateur et je deviens, à mon tour, une proie. Sauf qu’il n’y a de proie que s’il y a un prédateur. Si l’homme respecte les animaux et les femmes, il n’en mourra pas. Possiblement le contraire4. »

    « Lire Simone de Beauvoir en mangeant un steak, est-ce trahir la cause5 ? »

    Pourquoi, depuis la préhistoire, les femmes ont-elles été confinées à la gestion de la cueillette, tandis que les hommes se consacraient à la chasse ? Quels liens peut-on établir entre la domestication des animaux, la soumission des femmes et la mise en esclavage des personnes racisées ? 

    « Comparer la sphère domestique à une cage n’est pas innocent. Réifiée, contrôlée et exploitée par les hommes, la femme semble partager le même destin biologique que les animaux : pérenniser l’espèce humaine, en se reproduisant et en la nourrissant, gratuitement, de gré ou de force6. »

    Pourquoi la viande est-elle un symbole de virilité, en opposition au « lobby végéta*ien », alors que ce sont les femmes qui ont besoin de plus de protéines et de fer ?

    « De la même manière que les gens se demandent souvent comment une lesbienne peut s’épanouir sexuellement sans homme, nombreux sont ceux qui se demandent comment les végétarien⋅nes peuvent s’épanouir nutritionnellement sans viande. On leur demande “Mais alors, qu’est-ce que tu manges ?” avec la même incompréhension perplexe qu’on demande aux lesbiennes “Mais alors, qu’est-ce que vous faites7 ?”. » (Marti Kheel, écoféminste et antispéciste)

    « D’un côté, on répète aux petites filles qu’il faut “souffrir pour être belle” dès leur plus jeune âge, de l’autre on se moque des femmes qui s’infligent des pratiques de beauté douloureuses et dépensent des fortunes pour entrer dans la norme8. » 99

    Pourquoi les femmes font-elles davantage de régimes que les hommes ? Pourquoi ont-elles davantage recours à la chirurgie esthétique ? En quoi les femmes grosses sont, d’une certaine manière, un symbole de la résistance au patriarcat ?

    « Aux femmes, nous apprenons que la méritocratie passe aussi par le corps, et que ses efforts seront récompensés. Sinon, essaie encore. Et quiconque déroge à la règle ou se laisse aller est immédiatement punie : les magazines féminins ou people se chargent de pointer un doigt accusateur sur celle qui n’a pas perdu ses kilos de grossesse, qui n’a pas fait suivre son clafoutis d’une séance d'abdos ou qui ne fait rien contre cette vilaine cellulite. En somme, celle qui ne s’inquiète pas assez de savoir si elle est baisable9. »

    « Nous sommes censées expier notre condition de femme, ce corps dégoûtant, tentateur et naturellement laid sauf lorsqu’il est sexualisé. Résignées à ce constat instigué et entretenu par un système qui cherche à subordonner les femmes par tous les moyens possibles, nous avons intégré le mépris de notre propre corps et la nécessité de l’améliorer, même si l’idéal est, par essence, inatteignable. Comme le dit Virginie Despentes, “être complexée, voilà ce qui est féminin”. La femme moderne n’est pas semblable à Sisyphe que dans dans la “frénésie épilatoire” décrite par Mona Chollet, elle est condamnée à une autre forme de pénitence, celle du régime permanent. Printemps : il faut bosser dur pour être présentable sur la plage avec le fameux “bikini body” (sous-entendu, il n’y a qu’un type de morphologie qui soit légitime à se dénuder, vous n’allez quand même pas risquer de déclencher une nausée collective parmi les vacanciers). Rentrée : il faut perdre les kilos accumulés pendant l’été et les cubis de rosé descendus en mangeant des churros. Automne : penser à préparer son corps avant les fêtes (c’est-à-dire perdre du poids avant de se gaver comme une oie). Hiver : idem après les fêtes, où il faut détoxifier ses organes (rappel : ça ne veut rien dire) et éliminer foie gras, champagne et chocolat. Et voilà que le printemps pointe déjà le bout de ses rayons, les corps se dénudent et personne n’a envie de voir vos bourrelets dégueus. Rebelote10. »

    Mon avis

    Cet ouvrage était dans ma pile à lire depuis quelques années. Je l’avais même emprunté à la bibliothèque une première fois, mais sa mise en page, certes originale, est composée dans une typo que je n’aime pas particulièrement, ce qui avait repoussé ma découverte. Mais, en 2022, Myriam Bahaffou en fait mention dans son livre Des poussières sur le compost aux éditions du passager clandestin (un ouvrage fondamental, précieux, unique en son genre, et, pour tout dire, l’un des meilleurs essais que j’ai lus ces deux dernières années).

    J’ai surmonté l’obstacle de la mise en page pour me plonger dans cette lecture : grand bien m’en a pris ! Elle croise tout un ensemble de faisceaux pour montrer combien tout est une question de construction sociale, même les choses qui nous paraissent les plus « naturelles » et les plus intimes… À lire, et à méditer !

    Lisez aussi

    Essais sur le spécisme

    Aymeric Caron Antispéciste

    Collectif Faut-il arrêter de manger de la viande ?

    Derrick Jensen Zoos. Le cauchemar de la vie en captivité

    Martin Page Les animaux ne sont pas comestibles

    Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ?

    Peter Singer La Libération animale

    ♥ Ophélie Véron Planète végane

    Essais sur le féminisme

    Simone de Beauvoir Le Deuxième Sexe 1

    Mona Chollet Beauté fatale

    Mathilde Larrère Rage against the machisme

    ♥ Pauline Le Gall Utopies féministes sur nos écrans

    Christelle Murhula Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges

    ♥ Valérie Rey-Robert Une culture du viol à la française

    Julia Serano Manifeste d'une femme trans

    Carolyn Steel Le ventre des villes

    Littérature

    ♥ Upton Sinclair La Jungle

    ♥ Dorothy Allison Retour à Cayro (200e chronique)

    Erika Nomeni L'Amour de nous-mêmes

    Martin Winckler Le Chœur des femmes

    Récits

    Dorothy Allison Deux ou trois choses dont je suis sûre

    Maya Angelou Tant que je serai noire

    Anonyme Une femme à Berlin

    ♥ Jeanne Cordelier La Dérobade

    Gabrielle Deydier On ne naît pas grosse

    ♥ Mika Etchébéhère Ma guerre d'Espagne à moi

    ♥ Emma Goldman Vivre ma vie 

    Rosa Parks Mon histoire 

    ♥ Assata Shakur Assata, une autobiographie

    Illustrés

    Léa Castor Corps à cœur Cœur à corps 

    Claire Duplan Camel Joe 

    Jeunesse

    Ruby Roth Ne nous mangez pas !

     

     

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    Faiminisme

    Quand le spécisme passe à table

    Nora Bouazzouni

    Editions Nouriturfu

    2017

    120 pages

    14 euros

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  • Commentaires

    1
    Lundi 4 Décembre 2023 à 14:20
    Alex-Mot-à-Mots

    Des questions essentiels, et des réponses qui ont l'air à la hauteur.

      • Jeudi 14 Décembre 2023 à 18:57

        Coucou ! Oui, c'est vraiment intéressant, c'est comme chausser de nouvelles lunettes pour voir tout ce qu'on voit au quotidien, les interroger d'une autre manière !!

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