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La Sauvage ≡ Jenni Fagan
La Sauvage
Jenni Fagan
Éditions Métailié
2013
Anais est une adolescente de l'assistance publique qui échoue dans le Panopticon, un énième centre pour adolescents à problèmes. Elle nous raconte les violences du dedans et du dehors, mais aussi ses rêves et ses espoirs.
« Je suis juste une fille avec un cœur de requin1. »
Il y a Anais la dure à cuire. Quinze à peine, mais plus d’une centaine de délits à son compte lors des six derniers mois seulement. La liste est longue : atteintes à l’ordre publique, fugues (48 fois), vols à l’étalage, conduite sans permis, vandalisme, détention d’armes offensives, de drogues (herbe, amphètes, kétamine, acides, exctas, LSD)... La voici maintenant entre les mains des flics pour une accusation grave : agression envers un officier de police.
« J’ai été placée à la naissance, je suis passée par vingt-quatre familles d’accueil avant l’âge de sept ans, j’ai été adoptée, je suis partie à onze ans, et j’ai changé encore vingt-sept fois au cours des quatre dernières années2. »
Placée dans des familles d’accueil et des foyers depuis sa naissance, Anais a déménagé plus de cinquante fois, avec pour seuls effets personnels trois sacs poubelle : des vêtements, des livres, des petits souvenirs de sa mère adoptive. Anais n’est qu’une statistique, un numéro pioché dans une longue liste d’enfants abandonnés. Peu considérée, ou alors observée à la loupe à la moindre incartade, tant de fois humiliée, Anais n’a jamais appris à s’aimer. Elle a juste appris à se battre pour se faire respecter, même si elle se fait souvent avoir, entre les adultes qui abusent de leur pouvoir, les enfants tyranniques, les souffre-douleur et les paumés.
« L’obscurité me paraît plus sûre que le jour. Combien de fois le noir a-t-il été mon refuge ? Je me mets à compter tous les endroits où j’ai dormi : abribus, cimetières, vieux cottages, caravanes de vacances en hiver quand le camping est fermé, dans les bois, bâtiments désaffectés, une voiture brûlée, sous un pont, sur la plage, le viaduc. Une fois, j’ai dormi sur un terre-plein au milieu d’une autoroute. J’ai regardé les voitures toute la nuit ‒ c’était l’hiver, alors j’avais mis mes genoux sous mon pull et des journaux froissés dessous pour l’isolation, et je respirais ‒ la tête dans mon pull pour ne pas perdre de chaleur corporelle. Vous savez comment on appelle ça ? Débrouillard. Stupide. Complètement con. Je ne dormirai plus dehors, pour personne, c’est hyper dangereux et c’est hyper pas drôle3. »
« Je suis pas censée être ici4.»
Et il y a l’autre Anais, celle que les flics et les éducs ne voient pas. Celle qui est tendre et généreuse avec les enfants et avec les animaux et qui ne juge pas les autres. Celle qui n’a eu ni mère ni père, et qui a vu le cadavre de sa mère adoptive et ses copines faire le tapin.
Anais ne s’est construite qu’à travers ce qu’on lui a donné toute sa vie, c’est-à-dire rien. Elle s’offre à celui qui lui donnera un moment de défonce, parce qu’elle croit que c’est de cette manière qu’on aime. L’amour d’une mère, c’est l’amour à partir duquel l’identité naît, à partir duquel on fonde les bases de toutes les relations à venir.
Elle ne possède presque rien, sauf ses souvenirs et le « jeu de l’anniversaire ». Quand elle y joue, elle s’invente une vie, des parents. Cette gamine, si violente au-dehors, est une rêveuse, mais on ne la laisse pas rêver. Elle n’est pas faite pour cette vie de délinquante et de toxico.
Sans repère depuis une éternité, Anais vogue de connerie en connerie, elle sombre dans une paranoïa destructrice. Parce qu’au fond, elle n’est qu’une expérience sociale : les deux tiers des enfants issus de l’assistance publique finissent en prison à leur majorité, sombrent dans la prostitution ou la folie, ou sont retrouvés morts. Et Anais ?
Mon avis
Quand les enfants de l’assistance publique disparaissent, il n’y a personne pour les rechercher. Quand ils meurent, il n’y a personne pour les enterrer. La Sauvage fait vivre un personnage attachant qu’on aime suivre dans les sommets comme dans les vides. Anais est magnifique, mais elle n’est pas la seule ; tous les personnages ont quelque chose à faire sentir, quelque chose à raconter de ces endroits dont on ne parle pas. L’écriture à la première personne et au présent reprend les états d’esprit d’Anais : lors de ses épisodes psychotiques, de ses trips, ou quand elle découvre qu’elle mérite mieux que cette vie là. L’ambiance des foyers, les relations entre les éducateurs souvent désemparés et maladroits face à tant de violences et d’errances et les autres enfants d’infortune sont décrites avec justesse. La traduction, en reprenant les subtilités du langage, semble très bonne.
Dans ce premier roman publié par les éditions Métailié, les thèmes de l’abandon, de l’identité, et surtout de l’amour des parents, si évident qu’on l’oublierait, sont abordés avec une grande sensibilité. Parce qu’il faut savoir d’où l’on vient pour apprendre à s’aimer et à se vouloir du bien. Ces enfants ne manquent pas d’amour à donner, c’est juste qu’on ne leur a pas montré comment et à qui le montrer.
La Sauvage est un roman sur l’adolescence très sombre, qui mêle avec autant d’intensité les souffrances indélébiles, les espoirs et les illusions d’une jeunesse perdue, mais les romans les plus intenses sont les plus sombres. Une belle lecture.
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La Sauvage
(The Panopticon, traduit de l’anglais, Écosse, par Céline Schwaller)
Éditions Métailié
Collection Bibliothèque écossaise
Mars 2013
320 pages
19 euros
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Tags : Métailié, adolescence, Ecosse, sauvage
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Commentaires
Un roman "coup de poing" qui frappe fort et juste. La version anglaise est encore plus puissante dans le rapport à la langue. On attend avec impatience son prochain livre ('The sunlight pilgrims' prévu pour janvier 2016 en Angleterre). On guettera aussi l'adaptation au cinéma par Loach jr.
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