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La Commune ≡ Louise Michel
La Commune
Louise Michel
Éditions du Détour
2020
La Commune de Paris a 150 ans ! L’occasion pour moi de lire l’ouvrage de Louise Michel, célèbre communeuse, anarchiste, féministe et institutrice du XIXe siècle, qui ne se contente pas de raconter avec précision les faits auxquels elle a assisté et participé en 1871. Elle s’attache aussi à en offrir une analyse anarchiste qui résonne encore largement aujourd’hui. Petit plus pour l’éditrice que je suis : lire un document de 1898 réédité avec la typographie et la ponctuation originales !
« Paris, qui ne voulait ni se rendre ni être rendu et qui en avait assez des mensonges officiels, se leva1. »
Dans cet ouvrage, écrit un quart de siècle après, Louise Michel raconte avec précision les événements de la Commune de 1871, jour après jour, en s’appuyant sur ce qu’elle a vécu et vu (elle était alors âgée de 41 ans), mais aussi sur les rapports des généraux de l’armée française et les articles de presse de l’époque. C’est un travail monumental, car elle cite les noms des rues de Paris, les dates, et bien entendu ceux des protagonistes, qu’iels soient connu·es ou non.
Louise Michel raconte tous les événements qui entourent la proclamation de la Commune de Paris le 28 mars 1871, depuis l’agonie de l’empire napoléonien, la persécution du mouvement ouvrier socialiste et internationaliste (entre 1865 et 1870), la guerre contre la Prusse, le siège et la capitulation de la France (1870), jusqu’à l’extermination des Communeux·ses durant la Semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871, leur déportation et l’exil, ainsi que la terreur, la propagande et la censure imposés par les Versaillais.
Finalement, dans son récit, elle parle assez peu d’elle-même, de son métier d’institutrice engagée, de ses faits d’arme dans les tranchées du 61e bataillon pendant la Commune, de ses années au bagne en Nouvelle-Calédonie (1873-1880), même si au détour des pages on cerne l’importance de son rôle dans la Commune de Paris. Car il s’agit avant tout de saluer, avec le lyrisme propre à Louise Michel, le courage, l’abnégation des Communeux·ses (terme moins péjoratif que Communard·es), qui ont mis leur intérêt personnel de côté pour se fondre dans la révolution. Il s’agit aussi de mettre en avant les femmes qui ont participé à la Commune, en tant que cantinières, ambulancières ou qui ont construit des barricades ou tenu les armes à l’instar de Louise Michel.
« C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste2. »
Même si elle loue la détermination des Communeux·ses, Louise Michel apporte à son récit une perspective et une critique anarchistes et ne s’empêche pas d’avoir un regard critique sur les événements. L’armée française régulière aurait-elle pu vaincre la Prusse ? Pourquoi les fédéré·es n’ont-iels pas marché sur Versailles, dès le mois de mars, pour destituer le gouvernement officiel ? Pourquoi n’ont iels pas réquisitionné la Banque de France, alors qu’elle était accessible ?
Pour Louise Michel, le pouvoir corrompt. La Commune, comme d’autres révolutions, s’est empêtrée dans le légalisme, les procédures de suffrage universel, le besoin de ne pas froisser l’opinion publique, au lieu de s’attaquer au gouvernement de la toute jeune république qui s’était enfui à Versailles.
« Et moi, qu’on accuse de cette bonté sans limites, j’aurais sans pâlir, comme on ôte une pierre des rails, pris la vie de ce nain [Adolphe Thiers] qui devait faire tant de victimes3 ! »
Elle souligne aussi, comme un regret, que les Communeux·ses, par bonté, par droiture, n’ont pas tué les Versaillais lorsque cela aurait probablement été stratégique (comme Adolphe Thiers, le chef du pouvoir exécutif). Iels se sont légitimement défendu·es lorsqu’iels ont été pris·es d’assaut par les soldats versaillais. Pour autant, l’issue aurait-elle été plus favorable s’iels avaient assassiné Thiers, comme Louise Michel se proposait de le faire ? On ne le saura jamais, mais, sauf en cas de légitime défense, l’assassinat n’est pas compatible avec une perspective anarchiste et antiautoritaire. Autrement dit, la fin ne justifie pas toujours les moyens.
« Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants4. »
En revanche, les Versaillais ont massacré des milliers de personnes, qu’elles soient communeuses ou non. Il suffisait d’en avoir l’air ou d’être dénoncé·e par des voisin·es pour être fusillé·e et enterré·e dans les fosses communes comme les autres ! La Semaine sanglante a été si choquante que le nombre de meurtres a longtemps été surévalué, voire occulté, mais, d’après les différentes recherches, il y aurait eu au moins 10000 personnes assassinées en 8 jours (sans compter les simulacres de procès, les emprisonnements, les condamnations à mort, les déportations et l’exil qui eurent lieu dans les années qui ont suivi).
Ce qui est frappant, c’est de voir combien les méthodes de propagande et de manipulation de l’empire napoléonien discrédité, puis du nouveau gouvernement républicain, semblent identiques à toutes les époques, et encore aujourd’hui où le pouvoir macronien est particulièrement chancelant.
Pour silencier ou écraser les velléités démocratiques, tous les moyens sont mis en œuvre : les techniques d’espionnage et de contre-révolution, l’interdiction de certains journaux et des clubs pendant la Commune, l’interdiction des symboles de la révolution (comme le drapeau rouge), puis, plus tard, la succession de lois scélérates.
Au nom de la « sécurité », de la « protection », du « maintien de l’ordre qui est la condition du progrès5 », le gouvernement appelle les bon·nes citoyen·nes à dénoncer les « bandits » qui veulent faire régner « l’anarchie »… Toujours les mêmes rengaines pour justifier la raison d’être de l’État, sa violence coercitive et le devoir de soumission.
Décidément, tout cela ne vous rappelle rien ?
Mon avis
Quelle lecture édifiante, précieuse et passionnante ! Cependant, si vous ne connaissez rien à cette période historique, je conseille tout de même de garder sous le coude la fiche Wikipédia ou l’un des bouquins de l’historien Jacques Rougerie pour mieux situer les acteurs et actrices et avoir en tête le contexte politique et social.
Depuis 150 ans, l’histoire de la Commune n’a eu de cesse de nous enthousiasmer et de nous horrifier ! L’imaginaire de la commune et de l’autogestion est resté très présent. J’en veux pour preuve la révolution russe de 1917, les événements de Mai 68, les expérimentations des Zapatistes au Mexique depuis les années 1990, le Rojava en Syrie depuis quelques années, ou, plus près de nous, les nombreuses zad (zones à défendre), Nuit debout en 2016, l’assemblée des Gilets jaunes de Commercy en 2019…
En plus, les éditeurices ont repris la typographie et la ponctuation originale : autant vous dire que, en tant qu’éditrice, j’ai lu cet ouvrage avec beaucoup de curiosité, car la ponctuation et l’usage des capitales paraissent pour le moins hasardeuses aujourd’hui. Je ne sais pas si cet ouvrage est une exception de l’époque, mais les métiers d’édition et de correction se sont professionnalisés, les règles ortho-typographiques sont certainement plus normées et figées que par le passé.
Bref, à l’occasion des 150 ans de la Commune, vous ne pouvez pas passer à côté des écrits de Louise Michel ! Foncez !
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La Commune
Louise Michel
Préface de Sidonie Verhaeghe
Éditions du Détour
2020
496 pages
26 euros
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Tags : Commune de paris, Commune, anarchisme, Louise Michel, Semaine sanglante, révolution, 1871, 150 ans, anniversaire, Sidonie Verhaeghe
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Commentaires
Je l'aime bien le terme de communard, cela sonne un peu anar...
Oui, c'est vrai, ça lui redonne du cachet du coup !! ;) Mais les mots qui finissent en -ard·e c'est quand même péjoratif à la base ! Ce serait intéressant de savoir à quel moment ça a basculé dans le langage, car Louise Michel dit "Communeux·ses" dans son livre.