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Arrachons une vie meilleure !
Ritchy Thibault
Massot éditions
2024
Merci aux éditions Massot de m’avoir offert cet ouvrage.« Les barricades n’ont que deux côtés », écrit Elsa Triolet, citée par Ritchy Thibault. Dans ce manifeste, le jeune activiste nous invite à combattre pour faire advenir un monde meilleur et juste. Il s’adresse à celles et ceux qui ne se sont pas encore engagé·es : « Ne rien faire c’est laisser faire, alors faisons1 ! » Avec un langage simple, direct, efficace, il déploie une large vision de nos combats, face au fascisme et au néolibéralisme qui nous écrasent, face à l’écocide et aux oppressions racistes, coloniales, patriarcales, validistes.
« Un sursaut antifasciste est urgent et s’impose face aux partisans de la guerre de civilisations2. »
Ritchy Thibault, un très jeune activiste issu du mouvement des Gilets jaunes, ne cesse de lutter contre l’autoritarisme de Macron, dans la continuité de ses prédécesseurs, qui criminalise les classes populaires et marginalisées pour protéger les intérêts des dominants et de la classe bourgeoise. Il fait monter le fascisme, jette en prison les réfugié·es, donne les pleins pouvoirs à la police, enrichit les plus riches et esclavagise les plus pauvres, détruit notre modèle social et la planète.
« Nos luttes, c’est aussi le triomphe du nous, du collectif. Elles permettent à beaucoup d’entre nous de sortir de la solitude, de la détresse3. »
L’auteur ayant conscience de l’importance de l’indépendance de la presse et du livre, il est journaliste auprès du média Au Poste et a cofondé le collectif Peuple révolté. La bataille culturelle est essentielle face à la prédation de Bolloré, et elle est à portée de nous toustes ! Contre le « There is no alternative » qui nous impose tous les sacrifices au nom d’un rêve américain néolibéral inaccessible, nous pouvons nourrir nos propres imaginaires d’un monde meilleur.
Notre colère est légitime. Nos rêves et désirs de justice, de dignité et de bonheur ne sont pas utopiques, nous pouvons faire « le choix de l’émeute4 », expérimenter d’autres manières de vivre en commun, d’habiter des communautés de résistance, avec au cœur de la vision de Ritchy Thibault une écologie populaire (il est membre du Pour une écologie populaire et sociale). « Vivons à l’image du monde que nous voulons voir triompher5. »
Loin d’opposer les manifestations, l’autoréduction ou les ZAD à la lutte au sein des institutions (Ritchy Thibault est également collaborateur parlementaire de la députée LFI Ersilia Soudais, et exclu de l’Assemblée nationale depuis le 18 octobre), il en appelle à notre intelligence collective et à la puissance de nos liens pour nous auto-organiser, comme le fait le mouvement zapatiste. Il le rappelle à juste titre, comme le montrent l’histoire des mouvements sociaux, il n’y a pas qu’une seule manière de lutter.
Ritchy Thibault nous invite à mettre nos querelles de côté et à ne pas attendre le « grand soir » de la révolution. Car nos luttes, surgissant de tous les fronts, sont complémentaires ; elles cassent les binarités, et c’est bien pour ça qu’elles sont réprimées. Il n’y a pas d’écologie sans lutte contre l’impérialisme et le patriarcat. Et elles ne sont pas menées sans les premier·ères concerné·es, les personnes opprimées, marginalisées, racialisées, à l’instar de l’auteur qui est issu d’une famille d’origine tsigane.
« Je dis à celles et ceux qui hésitent encore à prendre position : rejoignez-nous, ne restez pas inertes6. »
Avec ce manifeste publié par les éditions Massot, indépendantes et engagées, Ritchy Thibault nous invite à nous battre pour notre dignité, pour enrayer le train-train du « métro boulot dodo » et libérer le temps de l’exploitation capitaliste. Il s’adresse à toutes celles et ceux qui n’ont pas encore engagé leur temps, leur corps et, en fin de compte, leur cœur dans une lutte émancipatrice. Car « maltraiter ou carrément laisser crever des gens (alors que collectivement à l’échelle de notre société nous avons la possibilité d’assurer leur dignité), c’est renoncer à notre humanité7 ».
Ainsi se conclut la célèbre parabole du pasteur Niemöller : « Puis, ils sont venus me chercher. Et il ne restait plus personne pour protester ». Ne soyez pas cette dernière personne.
Lisez aussi
Essais
Peter Gelderloos Comment la non-violence protège l'Etat
Normand Baillargeon L’ordre moins le pouvoir
Jérôme Baschet La rébellion zapatiste
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Manuel Cervera-Marzal Les Nouveaux Désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ?
Collectif Désobéir à la pub
Jean-Marie Muller L'impératif de désobéissance
Récits
Mika Etchébéhère Ma guerre d'Espagne à moi
Emma Goldman Vivre ma vie
Louise Michel La Commune
Cosma Salé Chroniques de la zone libre
Sante Notarnicola La révolte à perpétuité
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José Saramago La Lucidité
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Arrachons une vie meilleure !
Le manifeste du jeune activiste face aux périls qui guettent l’humanité
Ritchy Thibault
Massot éditions
2024
144 pages
15,90 euros1. Page 33. -2. Page 77. -3. Page 117. -4. Page 87. -5. Page 116. -6. Page 24. -7. Page 74.
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Au Bonheur des Dames
(tome 11 des Rougon-Macquart)
Émile Zola
Éditions Gil Blas
1882
Au Bonheur des Dames, le tome 11 des Rougon-Macquart, c’est le roman des grands magasins qui ont transfiguré Paris durant le Second Empire (1852-1870). Avec le triomphe de ce grand magasin, clairement inspiré du Bon Marché, on plonge dans les rouages d’une machine qui a révolutionné le commerce, et qui a fait entrer à marche forcée le monde entier dans le capitalisme sauvage et destructeur.
« C’était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère, faite pour un peuple de clientes1. »
Octave Mouret, un provincial opportuniste et vorace, ambitionne de révolutionner la capitale avec son grand magasin de prêt-à-porter féminin. Au Bonheur des Dames, situé dans le 2e arrondissement de Paris, écrase les petit·es commerçant·es du quartier avec ses techniques de vente et sa publicité nouvelles et agressives pour l’époque.
Pour arriver à ses fins, il brutalise tout le monde : les fabricants de tissu lyonnais avec lesquels il négocie des prix de plus en plus bas, les employé·es qu’il exploite et jette selon les besoins du commerce, les clientes (aussi bien les bourgeoises que les ménagères) dont il exploite les failles intimes pour leur faire acheter le plus de marchandises possible, les petits commerces mitoyens dont il rachète les baux commerciaux pour agrandir son grand magasin.
« Tous n’étaient plus que des rouages, se trouvaient emportés par le branle de la machine, abdiquant leur personnalité, additionnant simplement leurs forces, dans ce total banal et puissant de phalanstère2. »
Denise Baudu, une jeune femme de 20 ans, débarque à Paris avec ses deux jeunes frères, après le décès de leurs parents. Pour gagner sa vie et assurer leur sécurité, elle n’a d’autre choix que de devenir vendeuse au Bonheur des Dames. Avec elle, on découvre les rouages d’une « machine lancée à toute vapeur3 » : le mépris des clientes, le logement misérable au dernier étage du grand magasin, les journées de travail de 13 heures 6 jours sur 7, la compétition acharnée entre les employé·es qui sont rémunéré·es à la vente, une hiérarchie impitoyable qui licencie brutalement, à une époque où il n’y a ni syndicat, ni arrêt maladie, ni allocation chômage, ni retraite, ni congés payés… Pour contenir cette violence, les employé·es dilapident tout leur argent le dimanche, dans les restaurants et les bars, dans « une indigestion des bonnes choses4 ».
Les vendeuses du Bonheur des Dames n’ont pas le droit de se marier, et encore moins d’avoir des enfants, car « ce n’est pas bon pour la vente ». Il est pourtant clair qu’elles ne sont pas assez payées pour vivre de leur métier (contrairement aux hommes), si bien que la vente ne peut être qu’une étape dans leur vie avant le mariage. Mais Denise veut être libre, et doit subvenir aux besoins de ses frères orphelins.
« Il ne comprenait toujours pas le triomphe du Bonheur des Dames, mais il avouait la défaite de l’ancien commerce5. »
Face au triomphe du « colosse6 », les petits commerces du quartier agonisent. La boutique du Vieil Elbeuf, ainsi que celles de Bourras et de Robineau, sont petites, étriquées, sombres, humides, à côté des grandes vitrines lumineuses, tapageuses et innovantes du Bonheur des Dames.
Avec une fierté entêtée et aveuglante, les petit·es commerçant·es jettent les économies de toute une vie pour lutter contre l’envahissement du Bonheur des Dames. Mais les armes ne sont pas égales, leur force de frappe commerciale est sans commune mesure avec celle de l’empire de Mouret. Inéluctablement, les clientes préfèrent acheter leurs tissus au Bonheur des Dames, où le choix de produits est plus grand, les prix généralement plus bas, et le marketing plus séduisant.
Mon avis
Dans Au Bonheur des Dames, Zola a voulu brosser le portrait de ces grands magasins qui ont révolutionné le commerce durant le Second Empire, à l’instar du Bon Marché (1838), du Printemps (1865) et du Louvre (1855-1974). Comme toujours, il alimente son roman de faits historiques et de ses fines observations sociologiques, nous livrant au passage quelques leçons d’économie et de marketing (ce qui m’a été très profitable lorsque je l’avais lu la première fois au lycée).
Mais l’empire du Bonheur des Dames écrase absolument tout sur son passage, même ses propres personnages, qui sont à mon goût peu fouillés. Denise, la jeune femme normande, aurait pu apparaître comme une figure forte, avec son honnêteté à toute épreuve, sa responsabilité familiale inébranlable, son refus de se marier. Mais elle fait pâle figure par rapport à Gervaise (L'Assommoir), à Nana (chronique à venir) ou Hélène (Une page d’amour, chronique à venir), et je trouve que son destin est assez décevant, même s’il colle parfaitement aux desseins de Zola.
Au Bonheur des Dames détonne aussi parce qu’il ne suit pas l’arc romanesque habituel et que, finalement, ni Denise Baudu, ni Octave Mouret ne sont des Rougon-Macquart. Mais ça n’enlève rien à la portée terriblement actuelle de ce roman, qui montre comment la société s’est agencée autour des grandes entreprises et des multinationales, comment le capitalisme a profondément modifié nos besoins et nos envies, ainsi que l’ensemble des métiers, des industries, du monde du travail, des classes sociales, et des villes, paysages et pays dans lesquels on vit.
Du même auteur
Tome 1, La Fortune des Rougon
Tome 2, La Curée
Tome 3, Le Ventre de Paris
Tome 4, La Conquête de Plassans
Tome 5, La Faute de l'abbé Mouret
Tome 6, Son excellence Eugène Rougon
Tome 7, L'Assommoir
Tome 8, Une page d'amour
Tome 9, Nana
Tome 10, Pot-Bouille
Lisez aussi
Isabelle Baraud-Serfaty Trottoirs ! Une approche économique, historique et flâneuse
Carolyn Steel Le ventre des villes
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Au Bonheur des Dames
(tome 11 des Rougon-Macquart)
Émile Zola
Préface de Jeanne Gaillard
Édition d’Henri Mitterand
Éditions Gallimard
Folio classique
2010 (première édition en 1999)
4,30 euros
1. Page 281. -2. Page 173. -3. Page 425. -4. Page 182. -5. Page 428. -6. Page 425.
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31° Nord 35° Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
Un an de génocide à Gaza. Dans cet ouvrage publié en 2020, Khalil Tafakji (né en 1948), cartographe et géographe palestinien, raconte comment, pendant plus de 30 ans, il a documenté la colonisation israélienne et apporté son expertise lors des négociations avec Israël pour tenter d’obtenir un accord de paix et de définir un État palestinien. Un ouvrage éclairant sur les enjeux territoriaux, en particulier sur l’implantation aussi insidieuse qu’implacable des colonies en Cisjordanie, le mur de l’apartheid et la judéisation de Jérusalem.
« Nous observons les processus de la colonisation israélienne depuis 1983. Nous savons où trouver l’information, directement, indirectement, peu importe1. »
À travers une vingtaine de chroniques, Khalil Tafakji parle de son parcours professionnel de géographe vivant à Jérusalem. Lorsqu’il rejoint en 1983 la Société d’études arabes, fondée par Fayçal al-Husseini, sa mission consiste à cartographier les villages détruits par l’armée israélienne, ainsi que les colonies israéliennes et leurs avant-postes implantés en violation du droit international.
Pendant des mois, il a sillonné toute la Cisjordanie avec son équipe (usant parfois de subterfuges pour entrer dans les colonies israéliennes). Le but consistait à reporter les avancées israéliennes sur une carte, car Khalil Tafakji intervenait en tant qu’expert lors des négociations avec Israël.
Par la suite, la Société d’études arabes sera sans cesse dans le collimateur des services secrets israéliens (arrestations, confiscations de tout le matériel et de leurs bureaux), parce qu’elle a pour but de mettre en place les institutions qui pourront un jour fonder un État palestinien.
« Depuis cinquante ans, Israël procède au blanchiment des activités illégales des colons2. »
Avec plus de 500 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en 2019, réparti·es sur 132 colonies et 116 avant-postes, les Territoires palestiniens sont devenus un véritable gruyère. Entre le mur de l’apartheid, les routes de contournement des colonies et les checkpoints, la liberté de circulation des Palestinien·nes est totalement entravée, et leur vie semble tout à fait insupportable, et encore plus depuis un an.
« Il faut à Israël rendre la vie des Palestiniens impossible et celle des Israéliens la plus séduisante possible3. »
Le mur de l’apartheid est un énorme scandale à lui tout seul. Long de 700 km et mesurant jusqu’à 8 mètres de hauteur, fortifié par des barbelés et des miradors, le mur érigé par Israël ne respecte pas la frontière entre Israël et la Cisjordanie, fixée par l’ONU en 1949, mais empiète la Cisjordanie sur plusieurs kilomètres, ce qui crée un no man’s land, une prison à ciel ouvert pour les villages palestiniens pris entre les deux. De fait, plusieurs villages palestiniens se retrouvent coupés en deux, des milliers d’habitant·es sont séparé·es de leur famille, de leur travail, de leurs oliviers, des services publics, tandis que les colons circulent en toute liberté.
« [...] sous aucune latitude l’occupation ne permet de construire un futur de paix4. »
Et, comme Khalil Tafakji habite Jérusalem, il lui consacre plusieurs chroniques très instructives. Au mépris des résolutions de l’ONU et de la convention de Genève, Israël tente d’en faire sa capitale en forçant le départ des quelque 38 % de musulman·es qui habitent encore à Jérusalem-Est, à l’aide de tout un arsenal de lois fallacieuses. La municipalité détruit leurs quartiers, ne leur accorde aucun permis de construire et n’offre aucun service public (ramassage des poubelles, réfection des trottoirs et des espaces publics…).
Mon avis
31° Nord 35° Est est un ouvrage intéressant, car son auteur, géographe de métier, se concentre sur un enjeu stratégique pour la Palestine : la délimitation de son territoire, occupé depuis un siècle. Il montre notamment comment la définition d’une frontière, parfois faite au doigt mouillé, peut avoir des conséquences dramatiques pendant des décennies. L’histoire de la Palestine concentre tout ce qu’il y a de pire dans la colonisation, la frontiérisation des peuples et la propriété privée. Et parce qu’il a eu accès aux plans directeurs des autorités israéliennes de 1967, Khalil Tafakji a pu prouver que leur ambition (en toute illégalité) est d’annexer la Cisjordanie, de la Méditerranée au Jourdain, et de créer des accès rapides vers les grandes villes des pays du Golfe, sans parler de Gaza qui reste une épine dans le pied du géant israélien…
L’ouvrage de Khalil Tafakji est constitué de courts chapitres qui permettent de s’arrêter pour souffler, et de reprendre à petites doses. Sa lecture est dense mais accessible, du moins si l’on a une carte à côté pour mettre en situation ce qu’il raconte, c’est pourquoi je vous recommande vivement de commencer par la lecture de L’Atlas des Palestiniens (chronique à venir).
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31° Nord 35 Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
256 pages
19 euros
1. Page 69. -2. Page 140. -3. Page 217. -4. Page 243.
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