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Amours silenciées ≡ Christelle Murhula
Amours silenciées
Repenser la révolution romantique depuis les marges
Christelle Murhula
Éditions Daronnes
2022
Ces dernières années, le mouvement féministe s’est (re)emparé de l’amour comme terrain de lutte. On parle certes de patriarcat, mais de nombreuses problématiques restent à articuler en rapport avec l’amour. Au sein des relations amoureuses, un ensemble de discriminations entre en ligne de compte : le capitalisme, le racisme, le validisme, le classisme, pour ne citer que celles-ci. L’ouvrage de Christelle Murhula, publié par les toutes jeunes éditions Daronnes (disponible sur Alterlibris.fr, mon association), indépendantes et féministes, apporte une pierre à l’édifice.
« On ne pense pas la femme noire comme une femme amoureuse1. »
Christelle Murhula part du constat que la « révolution romantique » qui agite le mouvement féministe ces dernières années est mené par des femmes blanches de classe aisée. Or, pour l’autrice, il s’agit d’articuler ensemble les différentes problématiques qui ont un impact sur nos relations amoureuses : le patriarcat, l’hétérosexisme, le capitalisme, le racisme, le validisme et le classisme. De cette révolution romantique en cours sont exclues les femmes non blanches (dont l’autrice parle plus particulièrement, en tant que personne concernée), mais aussi les femmes handicapées, grosses, pauvres, lesbiennes, bisexuelles, asexuelles ou aromantiques. Comme tous les autres aspects de la société, la « préférence amoureuse » est sans doute le fruit d’une construction sociale.
« Pourquoi certaines peuvent avoir le temps de réfléchir aux relations romantiques plus que d’autres2 ? »
L’autrice explique que les femmes noires ne sont pas perçues comme des partenaires amoureuses, comme un sujet de désir. Situées en bas de la hiérarchie sociale, elles ne sont pas convoitées dans le « marché de l’amour », elles sont invisibilisées. Soit elles sont hyposexualisées, relayées au rang d’amies, soit elles sont hypersexualisées, animalisées, ce qui n’en fait pas pour autant des partenaires amoureuses. Même les hommes noirs ne veulent pas d’une femme noire comme partenaire, car ce serait une régression sociale (et, à ce sujet, l’autrice explique ce qu’est le colorisme et la hiérarchie des couleurs de peau).
Les femmes pauvres (qui peuvent également être racisées, puisque les deux vont souvent de pair) sont également exclues de la révolution amoureuse. Dans une démarche de déconstruction des genres et d’émancipation, le mouvement féministe en cours invoque le « célibat choisi », le « lesbianisme politique » ou l’éducation du conjoint au féminisme : mais qu’en est-il des femmes qui luttent quotidiennement pour leur leur survie ? Comment envisager d’éduquer son conjoint au féminisme quand on doit déjà jongler avec plusieurs boulots pour payer le loyer ? Comment envisager de vivre seule lorsqu’on est mère célibataire avec un Smic ? Dans une société qui érige le couple hétérosexuel en norme absolue pour les femmes, surtout si le partenaire est un homme blanc, choisir le « célibat politique » ou le « lesbianisme politique » revient à être plus marginalisée, à subir plus d’oppressions. En fin de compte, cette révolution amoureuse peut paraître une injonction de plus pour celles qui ne peuvent pas matériellement se défaire des normes hétérosexuelles. Je rappelle à toutes fins utiles qu’il est plus facile d’être pauvre à deux que seul·e, que les femmes gagnent moins que les hommes, et qu’au sein de la catégorie sociale des femmes, les femmes racisées, handicapées, transgenre gagnent encore moins…
Amours silenciées, ou comment le féminisme a exclu une majorité de femmes non privilégiées de la révolution romantique
Voilà une pierre utile à l’édifice du(des) féminisme(s) que je défends, un ouvrage précieux que je vois comme un complément bienvenu à Révolution amoureuse de Coral Herrera Gomez, chroniqué l’an dernier. Cependant, l’introduction veut visibiliser l’ensemble des femmes marginalisées et discriminées, mais il est surtout question en fin de compte des femmes noires et des femmes issues des classes les plus pauvres, puisque l’autrice est directement concernée. Je me note donc qu’il me faudra lire d’autres travaux qui articulent l’amour à ces autres problématiques, sans parler de la transidentité ou de l’écologie qui sont absentes de cet ouvrage (et ce n’est pas un reproche !).
Au risque d’invoquer une banalité, faisons avec les moyens qui sont à notre portée, à l’échelle individuelle : changeons les choses à notre rythme, dressons un ordre de nos priorités, assurons notre survie avant tout. À l’échelle collective, on peut s’organiser au sein de syndicats, collectifs et associations, à l’instar du Front de mères cofondé par Fatima Ouassak et de Femmes en lutte 93 cofondé par Hanane Ameqrane, pour mettre en place une solidarité et permettre notre émancipation collective.
Car, au risque d’énoncer une autre banalité, l’amour ne réside pas seulement au sein du couple, mais dans toutes les relations humaines et non-humaines. Qu’on l’appelle amitié, sororité, fraternité, solidarité, adelphité, plan-cul ou camaraderie, l’amour est une source d’émancipation, il est le terreau d’une société heureuse.
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Amours silenciées
Repenser la révolution romantique depuis les marges
Christelle Murhula
éditions Daronnes
2022
162 pages
18 euros
dispo sur alterlibris.fr (mon asso)
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1. Page 73. -2. Page 87.
Tags : amours silenciées, christelle murhula, féminisme, racisme, intersectionnalité
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Commentaires
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