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Les Moissons du futur ≡ Marie-Monique Robin
Les moissons du futur
Comment l’agroécologie
peut nourrir le mondeMarie-Monique Robin
La Découverte/Arte éditions
2014
Agriculture industrielle : « Il n’y a pas d’alternative1 »
Agriculture industrielle, engrais, pesticides… Les lobbyistes de l’agro-industriel s’accordent sur le refrain « There is no alternative » (TINA), discréditant de fait l’agroécologie, l’agroforesterie et l’agriculture biologique qui seraient incapables de nourrir la planète. C’est passer sous silence les émeutes de famine qui agitent des dizaines de pays dans le monde.
La liste des griefs est pourtant longue comme le bras : pesticides dans notre nourriture, pollutions des eaux, de l’air et des sols, baisse du niveau des nappes phréatiques, sécheresse, réchauffement climatique, émission des gaz à effet de serre, montée des eaux, déforestation, augmentation de l’utilisation de pétrole, invasion d’espèces prédatrices, réduction de la biodiversité, érosion accélérée des sols… Tous ces effets néfastes, appelés externalités négatives, ne sont économiquement pas comptabilisés dans la chaîne de production, mais subis par les consommateurs.
Par ailleurs, l’agriculture industrielle a montré combien elle était peu résistante aux catastrophes climatiques, lesquelles seront de plus en plus nombreuses dans la décennie à venir, mettant en péril des populations entières.
Sur le plan économique, l’agriculture industrielle est aussi la source d’une injustice très forte : d’un côté quelques multinationales s’engraissent honteusement avec la biopiraterie, comme Monsanto, le leader mondial des OGM, des pesticides et des engrais chimiques, mais aussi Cargill, ADM et Syngenta ; de l’autre, des millions de paysans sont pieds et poings liés à ces multinationales et dépendants du cours des céréales, des semences hybrides stériles, des intrants chimiques et des pesticides, prisonniers d’un cercle vicieux dont les gouvernements se font les complices.
Mais la nature n’est pas un business et ne peut faire l’objet d’une propriété industrielle, et l’agriculture ne peut être régie selon les lois du marché comme une filière industrielle ordinaire.
« Une agriculture du futur devra imiter la nature, c’est ça le sens de l’agroforesterie2. »
Les entreprises agroécologiques et agroforestières ont montré qu’elles répondaient à nos besoins alimentaires, écologiques et économiques. Elles reposent sur la reproduction d’un microcosme naturel, étudiant la complémentarité des cultures, des arbres, des insectes et des animaux d’élevage. Ce système naturellement équilibré ne nécessite aucun intrant chimique et peu d’eau : les parasites sont suffisamment régulés par leurs ennemis naturels, les plantes ne sont jamais malades, et l’humidité des sols est préservée par les ombrages des arbres et des arbustes. Contrairement aux idées reçues, la production des cultures peut être augmentée grâce à l’association intelligente de céréales, de légumes, d’arbres et d’animaux d’élevage.
Parmi ses nombreux avantages, l’agroforesterie et l’agroécologie permettent de diminuer le réchauffement climatique, les arbres étant d’excellents remparts contre les émissions de gaz à effet de serre, de préserver la biodiversité et de rendre aux agriculteurs leur autosuffisance alimentaire et économique. Pour autant, ces agricultures ne sont pas destructrices d’emplois, au contraire, puisque la récolte ne peut se faire par mécanisation. Autre point vital à la survie humaine, les productions sont plus résistantes aux changements climatiques, et notamment à la sécheresse, et ne produisent pas d’externalités négatives.
Pour finir
La décennie qui vient est décisive pour le climat et la survie humaine. La transition écologique et agricole doit se faire de toute urgence. Et paradoxalement, ce sont les plus pauvres qui subissent de plein fouet les effets néfastes de l’agriculture industrielle, alors que ce sont eux qui polluent le moins.
Dans cet ouvrage passionnant, très documenté et très instructif, Marie-Monique Robin rapporte les témoignages du Kenya, du Malawi, du Sénégal, du Mexique et de France d’agriculteurs ayant adopté efficacement, et parfois depuis très longtemps, la reconversion agroécologique ou agroforestière. Contrairement à ce que l’on pense, l’initiative vient aussi des pays pauvres qui n’ont pas les moyens d’investir dans l’agriculture industrielle, l’achat des semences et des machines.
Les résultats de son voyage à travers le monde accablent l’agriculture industrielle et montrent comment les systèmes agricoles naturels pourront permettre à la population mondiale de manger à sa faim. La nature n’est pas un business comme les autres.
Avec l’industrialisation et la course à la rationalisation de la nature, les agriculteurs ont perdu la connaissance du sol et le lien avec la nature. Déresponsabilisés au fil du temps, les agriculteurs conventionnels sont pris dans un engrenage infernal piloté par les multinationales et les lois gouvernementales, étouffés par les lourds investissements, les marges écrasantes et la surenchère de produits chimiques. C’est pourquoi l’agroécologie et l’agroforesterie visent la justice sociale en faisant de l’agriculteur le premier et le principal acteur de la chaîne alimentaire, et du consommateur un acteur responsable.
L’ouvrage de Marie-Monique Robin, très complet, est accessible tant au niveau du contenu que du prix. Elle définit progressivement le sujet et les connaissances nécessaires pour comprendre les enjeux alimentaires et sanitaires, écologiques et économiques, et adopte toujours un ton très personnel agréable à lire. Une lecture et une autrice chaudement recommandées !
« Nous vivons un incroyable paradoxe : le monde compte presque un milliard de personnes qui ne mangent pas à leur faim, mais, d’un autre côté, nous produisons un volume d’aliments et de calories alimentaires qui nous permettrait de nourrir 12 à 14 milliards de personnes, soit plus du double de la population actuelle. Le problème ce n’est donc pas l’offre, mais la distribution des aliments. D’abord, il faut savoir que la moitié des céréales produites dans le monde ne finit pas dans les assiettes, mais sert à faire de la viande sous forme de fourrage. Ensuite, une quantité croissante des végétaux produits est utilisée pour fabriquer des agrocarburants, comme aux États-Unis où 40% du maïs est consumé dans les usines d’éthanol. Au bout du compte, seul un tiers de la production agricole sert véritablement comme aliment. Enfin, on estime qu’au moins un tiers des aliments produits est jeté, au cours des différentes étapes de la chaîne alimentaire. C’est un énorme gaspillage, particulièrement dans les pays développés, qui ne savent plus quelle est la valeur des aliments, car ils sont habitués à les acheter bon marché. À eux seuls, ces aliments perdus pourraient nourrir la moitié de la population mondiale. Donc la question n’est pas de savoir si on peut nourrir le monde, mais plutôt quelles mesures il faut prendre pour qu’on parvienne, enfin, à le nourrir3… »
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1. Page 9. -2. Page 58. -3. Page 242.
Les Moissons du futur
Comment l’agroécologie peut nourrir le monde
Marie-Monique Robin
La Découverte/poche et Arte éditions
2014
308 pages
10 euros
Tags : Marie-Monique Robin, moisson, alimentation, agroécologie, agroforesterie, biodiversité, écologie, environnement, pesticides, OGM, Monsanto, FMI
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Commentaires
Des termes que je ne connaissais pas.
Certainement une bonne alternative, mais il faudrait que ce soit partout. Ques les grosses multinationales ne déversent pas dans les pays pauvres ce que nousne voulons plus (traitements chimiques, OGM...) et ça, ce n'est pas gagné
La ferme des mille vaches se classe dans quelle catégorie ?
Nous pouvons agir à notre échelle en consommant mieux, en choisissant chez qui on achète nos fruits et légumes. Mine de rien, nous avons du pouvoir en tant que consommateurs !
La ferme des mille vaches ? Voici que je réponds : manger végétalien est un engagement très fort sur les plans écologique, économique et politique !
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L'agroforesterie ? Je ne connaissais pas. Une démarche intéressante.